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La vraie jeunesse est toujours dans l’exaltation de la vie. C’est elle qui nous libérera de cet affairisme gâteux, si attentif à nous faire vieillir sous le joug de l’argent. Raoul Vaneigem, 2009
Il y a une Loi avant les lois, la Loi absolue qui est la loi des lois: pour venir en aide à un humain sans toit, sans pain, sans soins, il faut savoir braver les lois. Abbé Pierre, 1993
Ceux et celles qui non seulement ont une «vision d'avenir», mais le construisent avec acharnement sont ignorés, muselés, exclus. Lorsque les médias évoquent quelques-unes des initiatives de ces «Alternatifs», c'est rarement pour les applaudir; si les autorités font état de leurs démêlés avec ces «Marginaux» c'est pour les discréditer, les réprimer même. Les partis de droite les taxent de «Hors la loi» et ceux, dits de gauche, d’«Anarchistes». Pourtant, qui d'autres que ces jeunes-là réussissent à héberger les migrants, à les accueillir quotidiennement dans des refuges de fortune, à les aider dans leurs démarches pour retrouver leur dignité après des années d'errance et de souffrance?
En région lausannoise, les refuges actuels violent les convenances, que sont soit l'église Saint Laurent à Lausanne «occupée» depuis six mois pour protéger de l'expulsion une dizaine de migrants, soit le dépôt Heineken «squatté» pour y loger une centaine de migrants pendant l'hiver. Mais les lois des hommes qui protègent la propriété privée et assoient l'autorité de l'Etat ne doivent-elles pas être bravées lorsqu'elles violent les Droits humains? D'autant que ces transgressions ne privent aucun propriétaire de ses droits d'usage, aucun croyant de ses lieux de culte et ne dépossèdent nul contribuable de ses avoirs.
Confronté quotidiennement à ces jeunes qui auraient pu être mes étudiants et ont l'âge de mes enfants, j'ai renoncé à les questionner sur leur vision d'avenir sachant qu'il me suffisait de la déduire de leurs engagements quotidiens. Malgré mon âge et mon passé privilégié, ils m'acceptent comme l'un des leurs, refusant d'évoquer les différences qui nous séparent. Rares sont mes contemporains qui ont cette chance où qui la tentent, tant la «marginalité» les indisposent: il n'y a pas de vieux parmi ces jeunes, à part quelques journalistes en quête de scoops, fonctionnaires acariâtres et policiers fouineurs.
Enrichi à leur contact dans leurs squats, espaces autogérés, jardins alternatifs, sleep-in pour les sans-abri ou bâtiments de fortune pour les migrants, je me sens apte à décrire les moyens inédits qu'ils ont choisis pour construire leur avenir et le nôtre. Si je témoigne ici, c'est que ces jeunes agissent en silence, dans la discrétion, craignant de s'identifier, de se mettre en avant et de donner des leçons à quiconque… Il ont choisi de ne pas causer inutilement à qui n'en a que faire, de ne pas s'imposer, ni parvenir, mais d'agir en choisissant le mode de vie qui leur soit le plus efficace.
Ils refusent de se soumettre à un emploi et de dépendre d'aides sociales ce qui limiterait leur liberté d'action et leur indépendance. Pour subvenir à leurs besoins et à ceux et celles qu'ils secourent, il leur suffit de se servir dans la corne d'abondance des denrées invendables donc gratuites: aliments déclassés, logements vacants, vêtements récupérés, marchandises de toutes sortes dont le marché ne veut plus et qui encombrent les déchetteries. D'ailleurs, refusant de céder à l'appât des faux besoins dont la société marchande nous accable, ils boudent bidoche, bagnole, business et ne s'en portent que mieux et la nature plus encore! Leur luxe, c'est de se passer d'argent, leur confort, de vivre dignement.
Loin d'être ces chiffonniers, ces parasites ou ces fainéants dont les jaloux cupides les taxent, ces jeunes sont au contraire les premiers acteurs d'une décroissance de l'emballement productiviste. Ils préconisent et pratiquent une saine austérité, démontrant par là que le salut des populations implique qu'elles ne pourront survivre dans ce monde fini sans en finir avec leurs égocentrisme consumériste.
A chaque crise – guerres, disettes, récessions – des jeunes ont amorcé les vases communicants qui transfèrent des ressources indispensables vers les nécessiteux. Grains de sable dans les rouages effrayants du gaspillage et de la pollution, il détraquent le train-train des possédants et le ronron des autorités.
Les poches de résistance des jeunes se multiplient à travers le monde, par les réseaux sociaux, les rencontres, les échanges d'expériences, les concerts festifs. Ils tiennent tous les mêmes engagements, ont les mêmes objectifs, vivent les mêmes espoirs et subissent les mêmes pressions que leur impose le monde ensauvagé et brutal obsédé par une croissance à outrance.
Deux générations après que des milliers de jeunes s'élevaient contre le nucléaire militaire, puis civil, contre l'armée et ses guerres, une nouvelle frange déterminée lutte aujourd'hui en bloc contre toutes les manifestations du productivisme capitaliste. Elle passe ainsi de réactions ponctuelles contre tel ou telle aberration à une confrontation globale contre un capitalisme exacerbé depuis par son insolence néolibérale. Il ne s'agit plus de dénoncer un à un tels dérapages occasionnels, mais la décomposition complète du système capitaliste. Ainsi, une fraction de la jeunesse qui croyait alors en un avenir possible dans le cadre de l'économie de marché, le déserte, le condamne en bloc choisissant de se passer de ses services et sévices pour ainsi mieux l'abolir.