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La récente encyclique papale fait grand bruit et mérite que l'on s'y attarde, car elle nous livre une vision originale de la crise écologique qui préoccupe les lecteurs de l’essor. Elle dénonce clairement l'impasse à laquelle conduisent les perversions égoïstes de domination, d'appropriation et de prédation. Elle en explique les causes économiques qui ont fomenté l'émergence d'instincts grégaires qui, en un siècle à peine, se sont imposés et généralisés au détriment de la spiritualité – religieuse ou athée –, propre aux êtres humains.
On déplore cependant l'absence d'autocritique de la part de l'autorité suprême des chrétiens. L'encyclique devait accuser le rôle joué par cette croyance dans l'émergence du capitalisme et, partant, les méfaits qui en ont résulté pour l'humanité et la nature appauvries. Ces méfaits peuvent être mesurés par «l'empreinte écologique»2, soit la pression exercée par les hommes envers les ressources et les services fournis par la nature pour satisfaire leurs besoins vitaux. Exprimée en hectares de surface exploitée par personne, l'empreinte écologique est en moyenne de 7.1 ha pour l'Amérique du Nord et l'Union européenne, de longue tradition chrétienne, alors qu'elle n'est que de 2,2 ha pour le Moyen Orient et l'Asie Centrale, de 2 pour la Chine, l'Amérique Latine et les Caraïbes et proche de 1 pour l'Afrique et l'Inde, soit 10 fois moins prédateurs que les Etats-Unis qui comptent 71% de chrétiens, dont 21% catholiques et 46% protestants.
S'adressant aux chrétiens, l'encyclique devait relever leur responsabilité, non seulement envers les pauvres, mais quant aux raisons historiques qui les ont appauvris. En effet, «Le mercantilisme se développe au XVIe siècle dans toute l'Europe, mais notamment en France, pays catholique, et en contribuant à éliminer les valeurs religieuses du champ économique (notamment en s'abstrayant du fait que l'usure soit un péché), contribue à l'émergence du capitalisme en rendant légitime la recherche du profit»3
On déplorera encore que la principale puissance prédatrice actuelle, l'impérialisme états-unien, soit ménagée au point d'être absoute des hécatombes perpétrées à Hiroshima et Nagasaki alors que l'encyclique soulève, à juste titre, la menace du nucléaire militaire: «Il suffit de se souvenir des bombes atomiques lancées en plein XXe siècle, comme du grand déploiement technologique étalé par le nazisme, par le communisme et par d’autres régimes totalitaires au service de l’extermination de millions de personnes, sans oublier, qu’aujourd’hui, la guerre possède des instruments toujours plus mortifères»4. Les États-Unis seraient-ils alors inclus dans la catégorie des «autres régimes totalitaires»?
On regrette tout autant que l'encyclique n'adresse son message qu'aux chrétiens, bien qu'elle rappelle timidement: «Mais nous ne pouvons pas ignorer qu’outre l’Eglise catholique, d’autres Eglises et Communautés chrétiennes – comme aussi d’autres religions – ont nourri une grande préoccupation et une précieuse réflexion sur ces thèmes qui nous préoccupent tous»5. Bien que le pape s'inspire largement de Saint François d'Assise, il omet de rappeler que celui-ci s'est soucié d'autres grandes cultures, telle l'islamique, bafouant ainsi les Croisés qui voulaient l'éradiquer. De plus des congrégations franciscaines tentent actuellement des rapprochements œcuméniques avec des amérindiens, bouddhistes, sikhs, hindous, juifs, musulmans et des chrétiens de plusieurs dénominations… Le Poveretto avait, lui, compris que «C'est de l'ensemble des hommes qu'il faut de toute urgence, faire une communauté»6. On n'en a jamais été aussi éloigné.
L'encyclique conclut qu'«un changement dans le style de vie pourrait réussir à exercer une pression saine sur ceux qui détiennent le pouvoir politique, économique et social»7. Mais cet espoir, mis au conditionnel, ne fait qu'entretenir l'illusion qu'il suffirait que l'humanité ait la liberté d'exercer une pression saine pour sauver le monde alors que le texte signale justement que les pressions du capital la rend illusoire, puisque «Ceux qui ont en réalité la liberté, ce sont ceux qui constituent la minorité en possession du pouvoir économique et financier»8.
Alors, comment priver le capitalisme de sa liberté de nuire sans le…décapiter?
1. François, Encyclique «Laudato si», mai 2015, Typographie vaticane.
2. Empreinte écologique (sur Wikipédia).
3. L'éthique protestante et l'esprit du capitalisme.
4. Encyclique, § 104.
5. Encyclique, § 7.
6. Albert Jacquard, Le souci des pauvres, l'héritage de François d'Assise, Calman Lévy, 1996, p. 90.
7. Encyclique, § 206.
8. Encyclique, § 203.