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Les marches qui se sont déroulées en France après les tragiques évènements de janvier étaient justifiées: la liberté d’expression est indivisible et doit être défendue partout. Mais que d’étonnement en observant le cortège de Paris: à côté de personnalités démocrates (par exemple la présidente de la Confédération suisse, le président de la République française et le Premier ministre britannique) défilaient des chefs d’État ou de gouvernement qui, chez eux, ne respectent pas la liberté d’expression et mettent en prison (parfois même assassinent) leurs opposants.
La liberté d’expression est indispensable et fait partie des droits essentiels de la communauté humaine. Mais au-dessus d’elle, il y a un droit encore plus important: celui de vivre. Malheureusement, alors que les trois grandes religions monothéistes sont basées sur la paix et l’amour, on tue, on massacre et on décapite au nom de la Bible, du Coran ou de la Torah.
Les morts de Paris sont de trop mais aussi ceux de Libye, du Kenya, de Syrie et d’Irak. Dans ces quatre pays et dans quelques autres, des extrémistes exécutent les chrétiens et en appellent à la Guerre sainte. Et ceux qui condamnaient les meurtres de Paris restent étrangement muets. Les gouvernements occidentaux ont bien reprouvé les crimes commis mais ils n’ont pas eu le courage de dire que les victimes étaient tous des chrétiens. On ne va tout de même pas déplaire à ses clients!
Je suis protestant mais je m’identifie totalement à l’attitude et aux propos du pape François. Dans son homélie du lundi de Pâques, il a eu des mots très forts: «La communauté internationale ne doit pas rester muette et inerte face aux crimes dont sont victimes les chrétiens dans le monde. Ces crimes constituent une dérive préoccupante des droits humains les plus élémentaires. Je souhaite qu’on ne détourne pas le regard. J’en appelle à une participation concrète et à des gestes tangibles pour la protection de nos frères et sœurs persécutés et exécutés pour le seul fait d’être chrétiens».
Voilà qui nous change des propos hypocrites des États-Unis, de la Russie, de la Grande-Bretagne, de la France et de quelques autres pays du monde. D’un côté, ils stigmatisent les violences et les crimes, de l’autre ils livrent des armes aux pays les plus obscurantistes et les moins démocratiques, à l’exemple de l’Arabie Saoudite, premier acheteur d’avions et de fournitures de guerre en tous genres. Le fric passe malheureusement avant les principes moraux.
«Des régimes politiques sévissent sans légitimité démocratique, gouvernent en idéologisant la religion et participent à la coalition qui bombardent le monstre Daech (l’État islamique implanté en Syrie et en Irak). Alors que ce dernier est le wahhabisme (la doctrine pratiquée en Arabie Saoudite) en actes, rien d’autres. Marre de la criminalisation de l’apostasie, des châtiments corporels, de la minoration de la femme, de la captation des consciences et de l‘intolérance religieuse. Il incombe aux théologiens de décréter le wahhabisme attentatoire à la dignité humaine». Ce n’est pas un chrétien qui a écrit ces propos, mais Ghab Bencheikh, ismologue et animateur de l’émission «Islam» sur France 2.
Il est temps que les modérés, qu’ils soient chrétiens, musulmans, juifs, hindous ou bouddhistes, se réveillent et dénoncent vigoureusement l’instrumentation de la religion pour justifier les assassinats qui ensanglantent le monde. Il est urgent de rappeler les principes de l’Appel spirituel de Genève qui date de 1999:
Rappeler des principes, condamner les crimes, sévir contre les responsables, c’est bien mais insuffisant. Il faut aussi et surtout diminuer (je ne dis pas supprimer car je sais que c’est presque impossible) les causes de la situation: le chômage, l’accroissement du fossé entre riches et pauvres, l’identification du christianisme à un Occident souvent perçu comme hostile et dominateur.
Je viens de lire Le livre noir de la condition des chrétiens dans le monde. En 800 pages, cet ouvrage souligne que la religion chrétienne est aujourd’hui la plus menacée au monde. Entre 150 et 200 millions de chrétiens (catholiques, protestants et orthodoxes) sont discriminés ou persécutés à travers la planète. Quand ils ne sont pas abattus à la kalachnikov ou décapités, ils subissent des pressions sociales et des répressions d’appareils d’État. Plus qu’une question de liberté religieuse, cette hostilité grandissante compromet l’existence même d’une civilisation et de ses valeurs. Il est grand temps que les gouvernements et les peuples prennent conscience du danger et agissent en conséquence. Se battre pour la liberté d’expression, c’est bien; se battre pour le droit de vivre, c’est encore mieux.