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Il semble bien que tout le monde aujourd’hui a un ordinateur et s’informe via Internet. Par ailleurs, les nouvelles sont régulièrement diffusées par la radio et la télévision. Les journaux ont de ce fait perdu une partie de leur raison d’être. Ils n’en continuent pas moins d’exister car, en plus de l’information, ils commentent les événements selon des points de vue qui dépendent de l’école de pensée à laquelle ils se rattachent. Il y a des journaux de droite, des journaux de gauche, des journaux dits conservateurs et d’autres dits anarchistes. Un des avantages du journal est qu’on peut le lire tranquillement quand on a un moment et l’envie de le faire. On n’est pas lié à un horaire.
Malheureusement, la plupart des journaux servent aussi de support à la publicité, laquelle cherche à nous faire croire que nous avons envie de ce dont nous n’avons pas besoin. Cette publicité rapporte et permet à beaucoup de journaux de vivre, ce qui donne du pouvoir aux annonceurs. Un journal qui a besoin de la publicité n’est plus vraiment libre. Mais il y a des exceptions. Pour ma part, je suis abonné à deux journaux sans publicité: Le Canard Enchaîné et Le Monde diplomatique.
La liberté d'expression est un capital à ne pas épargner.
Pascal Mounot
Bien qu’étant d’abord un journal satirique, Le Canard Enchaîné est aussi un hebdomadaire très sérieux dans le sens qu’il est très bien informé et n’a pratiquement jamais pu être pris en défaut. Il a dénoncé maints scandales et ne craint pas de mettre le pouvoir en cause. On se demande d’où il peut bien obtenir ses informations car il apprend très vite ce qui se passe même dans le Conseil des ministres. Il y a eu un épisode tragi-comique lorsqu’un ministre de l’intérieur a voulu placer des micros dans les bureaux du Canard Enchaîné et que le «plombier» chargé de ce travail avait été surpris par un des journalistes du Canard qui, voulant passer tardivement au bureau, l’avait trouvé en pleine action. L’opération avait ainsi tourné catastrophiquement à la confusion du ministre.
Le Canard Enchaîné est lui-même source d’information pour d’autres journaux, en particulier étrangers, ce qui montre que le sérieux de ses informations est reconnu loin à la ronde. Il ne contient strictement aucune publicité et vit entièrement de ses abonnements et de la vente au numéro, ce qui ne l’empêche apparemment pas de bien payer ses journalistes. Cela prouve qu’un journal peut vivre sans publicité. L’abonnement n’est même pas très cher, de l’ordre de cent francs par année. Mais le Canard dérange parfois en haut lieu et d’aucuns ont pu souhaiter sa disparition. On dit même qu’«on» avait suggéré à de Gaulle de lui tordre le cou, ce que de Gaulle avait refusé en déclarant qu’il ne voulait pas «passer pour un con».
Si nous voulons pouvoir dire quelque chose du monde futur, dessiner les contours théoriques d’une société à venir qui ne soit pas hyper-industrielle, il nous faut reconnaître l’existence d’échelles et de limites naturelles. L’équilibre de la vie se déploie dans plusieurs dimensions; fragile et complexe, il ne transgresse pas certaines bornes. Il y a certains seuils à ne pas franchir. Il nous faut reconnaître que l’esclavage humain n’a pas été aboli par la machine, mais en a reçu figure nouvelle. Car, passé un certain seuil, l’outil, de serviteur, devient despote. Passé un certain seuil, la société devient une école, un hôpital, une prison. Alors commence le grand enfermement. (…) J’appelle société conviviale une société où l’outil moderne est au service de la personne intégrée à la collectivité, et non au service d’un corps de spécialistes. Conviviale est la société où l’homme contrôle l’outil.
Ivan Illich
Le Monde diplomatique est un journal mensuel qui publie des enquêtes et des dossiers. Il présente des analyses des événements très précises et fouillées. Il est politiquement neutre et aborde les sujets les plus variés. A titre d’exemple, dans le numéro de novembre 2014, on trouve une analyse de l’affaire Snowden et de la géopolitique de l’espionnage pratiquée par la NSA (National Security Agency) américaine. Un autre artiche traite du «football» américain et ses conséquences sur la santé des joueurs. Bref, les sujets sont variés, mais d’actualité. Il ne contient que très peu de publicité, essentiellement pour ses propres publications, mais reçoit occasionnellement des dons de ses lecteurs. Il s’agit donc d’un journal indépendant.
Je signale pour terminer l’existence de deux petits journaux produits par M. Jean-Michel Courajou, avenue William Fraisse 14, 1006 Lausanne:
• La Convivialité, cercle des lecteurs d’Ivan Illich;
• Le Crétin des Alpes, petit journal des réfractaires au développement.
Ces petits journaux sont envoyés gratuitement à ceux que cela intéresse et paraissent de manière irrégulière. Le plus ancien numéro dont je dispose date de 2001. Il s’agit donc d’un effort soutenu. Le dernier numéro du Crétin des Alpes dénonce les illusions du numérique, en particulier l’illusion qu’internet favoriserait la diffusion d’idées subversives.
Toute la débauche électronique actuelle ne semble pas avoir eu vraiment une influence déterminante sur la société. De plus, il est à mon avis important de souligner qu’elle est entièrement dépendante de l’électricité et que tous ces gens vissés devant leur écran d’ordinateur ne sont pas un substitut à la société conviviale, laquelle exige à mon avis des rencontres directes. Et on retrouve là aussi le problème de la Némésis: trop d’information tue l’information.