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Christian Campiche, journaliste, a occupé des postes à responsabilités dans une série de journaux de Suisse romande. Son souci d'indépendance l'a amené à créer son propre journal en ligne, en 2003 déjà, le Radeau de la Méduse. Titre significatif renvoyant à un célèbre tableau de Géricault, version tragique d'une Arche de Noé moderne où sont repêchés quelques rescapés d'un naufrage. Ce Radeau de la Méduse est devenu Méduse, dont son auteur en est le Médusé, devant les choses du monde.
CC – Ce qui est un peu compliqué dans toute cette question de liberté de la presse, c'est qu'il est difficile de dire s'il y a derrière tout cela un système délibéré pour museler la presse, en bref si cela fait partie d'une «conspiration» mondiale... Ce n'est même pas exclu.
BW – Est-ce pour cette raison que tu as créé la Méduse?
Ma Méduse est le résultat d'un besoin personnel, celui d'exprimer ce que je ne pouvais pas exprimer quand j'étais salarié dans un journal.
Pourquoi tu ne pouvais pas ?
Parce qu'il y a des tabous dans les journaux. Le discours officiel est puissant, on passe vite pour un hurluberlu si l'on remet en question certaines «vérités» des pouvoirs établis, les vaccins, le nucléaire, etc... La Méduse est totalement indépendante, elle n'a pas de pub, elle n'a pas besoin de caresser une industrie, un politicien, une administration, dans le sens du poil, «ni pour ni contre, bien au contraire»... Je crois au journalisme d'opinion, qui donne ses lettres de noblesse à un titre. J'avais la chance de travailler pour un journal qui m'offrait une bonne liberté d'expression, mais ma réflexion m'amenait hors des sentiers battus. Je voulais m'engager davantage dans ce sens.
Un autre conditionnement est la place qu'il y a dans le journal, l'espace relativement restreint qui t'est accordé. Il y a le problème des moyens donnés pour faire un bon journalisme d'investigation. Un point important, qui peut souvent être un problème, c'est la personnalité du rédacteur en chef, qui est tenté de faire la morale, si le contenu ne lui convient pas.
Mais alors, il faut se rebeller là-contre.
Et qu'en est-il des éditos?
Les éditos, il y en a de moins en moins. Les responsables n'ont plus la même envie de se battre. Aujourd'hui, je reste sur ma faim quand je vois les journaux. Les commentaires, il n'y en a plus beaucoup. Or le commentaire est un élément important du débat. Il donne des éléments de réflexion au lecteur.
Le commentaire suppose un minimum de courage. Si l'on s'engage réellement, on sait qu'on ne va pas faire plaisir à tout le monde.
Est-ce qu'au journal, on te donne à comprendre qu'il y a des choses que tu ne peux pas dire?
Disons qu'on te met sur des rails. Mais c'est au journaliste de se battre pour dire ce qu'il veut dire. Aujourd'hui, les journalistes s'engagent moins dans leurs propos. Est-ce de la faiblesse, est-ce de la crainte? Ce sont de bons petits soldats obéissants. Ce n'est pas comme ça qu'on peut aller très loin.
Venons-en aux dernières assises de la presse dont tu as été l'un des moteurs.
Cette manifestation a lieu tous les deux ou trois ans sur un thème donné. Là c'était organisé avec Amnesty international et Reporters sans frontières, sur le thème précisément de la liberté de la presse.
En tant que président d'Impressum, j'ai introduit la journée, en insistant sur le fait que ce thème est un thème bateau, mais sur lequel il faut sans cesse revenir. On doit se battre tous les jours pour conserver cette liberté.
J'ai animé le débat d'un groupe de trois éditeurs à partir d'une étude émanant de l'Université de Fribourg qui aboutissait à la conclusion que les journalistes n'avaient pas assez de moyens pour exercer leur métier et que la qualité des journaux en pâtissait. Nous le savions bien, mais nous n'avions pas les outils pour le démontrer. Il est important d'avoir maintenant cette caution académique. C'est là un côté insidieux de cette problématique de la liberté de la presse: on peut nous dire que l'«on ne fait pas de censure», mais si on ne donne pas des moyens suffisants aux journalistes, ça revient au même.
Si on ne donne pas ces moyens, ça donne quoi?
Des journaux ternes et sans relief. Ce qui ne veut pas dire que tout est à jeter dans nos médias, bien évidemment.
Et la conclusion que tu tires de ces journées?
Outre les échanges d'idées, ces assises renforcent le sentiment de solidarité entre journalistes. Elles leur permettent d'exprimer ce qui a pu leur arriver dans l'exercice de leur métier. C'est ainsi que Ludovic Rocchi, le journaliste qui a subi des perquisitions illégales, a bénéficié du soutien de ses collègues.
Revenons à la liberté de la presse…
Plus grave encore que les contingences financières, c'est la limitation culturelle, l'autocensure.
Et pourquoi cela?
Parce que les gens se sont habitués à être sur des rails, parce que les jeunes sont peut-être moins critiques, ils ont été éduqués dans la religion dictatoriale «soft» de la consommation.
C'est un peu la «fin de l'histoire» de Fukuyama, ce monde unifié, uniformisé. Les valeurs se sont érodées. C'est un monde beaucoup plus sournois. Avant, l'«ennemi», tu pouvais le reconnaître. C'était celui qui voulait régir tes croyances. Ce débat de société n'existe plus. On est dans une situation contradictoire. On parle de «réchauffement climatique» et on est dans une consommation à outrance, entretenant par là les causes de ces catastrophes dénoncées sans cesse dans les journaux. Les informations sont toujours plus anxiogènes, mais en fait cela se passe dans un désert d'idées. Il n'y a plus d'élément rassembleur, l'Etat s'est beaucoup affaibli, il semble qu'on ne maîtrise plus grand-chose.
Et la sécurité de l'emploi?
C'est aussi un problème. Tu as peur de déplaire. Tout se passe dans une hiérarchie où le rédacteur en chef, nommé par l'éditeur, aura tendance à défendre les positions de celui-ci plutôt que celles des journalistes. Ce qui signifie aller dans le sens qui convient aux pouvoirs et aux annonceurs. Il y a un climat général de laisser-aller, de peur, qui ne tient pas qu'aux journaux. C'est dans l'air, on ne se révolte plus, on s'adapte, on se soumet... Par ailleurs, les journalistes subissent une pression ambiante de la part du système judiciaire, dans l'air il y a des menaces de procès, des lettres d'avocats. Jusque dans les années 80, c'était un peu le contraire, les journalistes pouvaient s'en donner à cœur joie. Depuis, on est passé dans l'extrême opposé.
Et que penses-tu du rapport entre journal de papier et journal en ligne, par internet?
Nous sommes maintenant à la croisée des chemins. Un groupe comme Ringier dit qu'il fait 50% de ses rentrées grâce à Internet. Tamedia en est à 30%. Mais la tendance est à la diminution du journal en papier.
Est-ce que cela a des conséquences sur la qualité de l'information?
Pas vraiment, non. Il est vrai qu'il faut énormément d'internet pour compenser le journal papier dans lequel tout est plus concentré. Sur Internet tout est plus dilué, les espaces entre pub et information sont plus flous. Il sera ainsi plus difficile de respecter l'article 10 des principes de base du journalisme qui dit que la collusion entre la partie rédactionnelle et la partie publicitaire est bannie.
Quant à l'avenir, je crois que la presse papier à grand tirage finira par disparaître.
Là où le journal papier reste meilleur qu'Internet, c'est dans la partie locale, qui constitue un élément important de notre vie. Les tous-ménages locaux sont quelque chose de très attrayant pour les régions concernées car ils s'adressent au quotidien des habitants et parlent de leur histoire présente et passée. Cette presse-là a certainement un bon avenir.
Et si on en venait à une conclusion sur ce thème de la liberté de parole du journaliste, comment la formulerais-tu?
Eh bien je pense qu'il faut avoir la volonté d'exercer cette liberté. C'est comme cela qu'on la préservera au mieux. J'ai personnellement eu la chance d'avoir toujours pu m'exprimer, mais j'ai dû me battre pour pouvoir le faire. Cette liberté d'expression, c'est quelque chose que je défendrai toujours.