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Comment aborder le sujet du handicap dans la société sans évoquer des revendications non satisfaites ou des réalisations intéressantes obtenues par des personnes confrontées à un handicap? C'est cependant sous un éclairage différent que j'aimerais traiter ce sujet aujourd'hui. Pour savoir si la situation s'est améliorée au cours des dernières décennies, je tente ci-après de faire appel à mes souvenirs.
Ayant définitivement perdu la vue à l'âge de 8 ans, je suis entré dans une école spécialisée à Lausanne qui proposait, globalement, le programme des écoles du canton de Vaud. Nous suivions certes un enseignement spécialisé mais un accent tout particulier était mis sur les techniques palliatives (apprentissage du braille et de la locomotion) qui nous permettraient plus tard de nous insérer dans la vie professionnelle. Aujourd'hui, l'intégration dans des classes ordinaires est le maître mot. Quelques enseignants spécialisés sont chargés d'inculquer le braille, les activités de la vie journalière ou la locomotion. Mais, en ce qui concerne le braille, par exemple, les élèves ne l'utilisent pas vraiment puisqu'ils communiquent avec leurs enseignants grâce à l'ordinateur. Seront-ils bien préparés à la vie professionnelle? Je me permets d'en douter. La population concernée, il est vrai, a beaucoup changé. Si, il y a quelques décennies, les enfants aveugles n'étaient pas rares, ils ont, heureusement, presque disparus de nos jours. Par contre, les malvoyants sont plus nombreux.
Pendant des siècles, une personne aveugle n'avait aucune opportunité de gagner sa vie. Peu à peu, au tournant du XXe siècle, des métiers sont devenus accessibles, manuels pour commencer, puis exigeant une formation plus poussée. Dans certaines professions, l'autonomie était cependant limitée; un aveugle pouvait fort bien utiliser une machine à écrire mais il ne pouvait relire sa production. Grâce à l'ordinateur, ce contrôle est maintenant possible mais rares sont les employeurs qui acceptent encore d'engager une personne dont ils ne comprennent pas comment elle peut travailler. A cet égard, il faut dire que la politique du Conseil fédéral est surprenante. On veut diminuer le nombre de rentes de l'AI et favoriser l'intégration professionnelle mais les employeurs ne sont soumis à aucune obligation. A l'heure actuelle, peu nombreux sont les déficients visuels qui ont un travail à moins qu'ils soient indépendants. L'objectivité oblige de souligner que bien des activités accessibles aux aveugles et aux malvoyants profonds ont disparu. On n'emploie plus guère de secrétaires dans les bureaux car la correspondance qui était souvent confiée à des personnes handicapées de la vue s'effectue maintenant grâce à l'informatique. D'autre part, des activités de niche, comme par exemple le travail de téléphoniste, n'existe plus puisqu'on atteint maintenant son interlocuteur grâce à des numéros directs et non plus par l'intermédiaire d'un central téléphonique.
Au niveau des transports, on peut noter des améliorations considérables. L'annonce des stations dans les transports publics concourt certainement à une plus grande autonomie. Toutefois, l'accessibilité des trains a régressé. Dans la plupart des cas, il faut appuyer sur un bouton pour commander l'ouverture d'une porte. Mais comment repérer ce bouton? Autrefois, les portes des trains restaient ouvertes dans les gares et il était facile de les repérer. On peut apprécier cependant que les CFF proposent un service d'aide dans les gares pour personnes handicapées. La procédure à suivre pour obtenir ce service est cependant un peu trop bureaucratique.
Qu'en est-il de l'attitude du public à l'égard d'une personne déficiente visuelle? La situation ne me semble pas avoir beaucoup changé. Aujourd'hui comme hier, des passants offrent encore leur aide lorsqu'ils voient un aveugle déambuler dans la rue. Certains n'ont pas encore compris qu'il faut toujours proposer son aide et non pas l'imposer. L'installation de feux sonores pour les piétons a considérablement amélioré la maîtrise de l'espace urbain. On doit reconnaître que les aveugles sont mieux préparés à circuler seuls dans nos rues. La canne blanche, plus longue, sert véritablement de détecteur d'obstacles et non plus seulement d'un signal distinctif.
Des organisations telles la Fédération suisse des aveugles et malvoyants tentent d'informer le public sur les aspirations de ses membres. Mais il est difficile de se faire entendre dans un monde saturé parfois par l'information que l'on entend plus qu’on ne l'écoute. Malgré ce que j'ai écrit plus haut, qui est la réalité telle que je la ressens, les aveugles et malvoyants vivent certainement mieux aujourd'hui, du moins sur le plan matériel. Celui qui ne travaille pas a au moins la ressource d'obtenir des prestations sociales, ce qui n'était pas le cas avant l'introduction de l'Assurance Invalidité en 1960. Ces réflexions ne prétendent ni à l'exhaustivité, ni à l'objectivité. Elles me sont strictement personnelles mais tout de même basées sur une longue expérience.