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En 1979 paraissait un petit livre intitulé «Travailler deux heures par jour». L'auteur en était le groupe «Adret» qui comprenait, entre autres, un scientifique et une employée de la poste. Il faisait remarquer, en particulier, que les contraintes économiques obligeaient souvent le citoyen à «perdre sa vie à la gagner». Il distinguait entre le travail libre, celui que l'on a choisi soi-même, et que l'on fait parce qu'on le trouve utile et parce qu'il procure aussi du plaisir, et le travail lié que l'on fait de manière commandée moyennant un salaire.
Il est vrai que la distinction entre ces deux modes de travail n'est pas absolument claire et définie, le travail lié pouvant aussi être agréable et enrichissant. Mais le point important est que le but du travail lié n'est en général pas fixé par celui qui l'exécute et peut très bien lui échapper. Par ailleurs, une partie importante du travail lié est exécutée aujourd'hui par des machines, réduisant d'autant le nombre d'emplois, ce qui est en totale contradiction avec l'idéal du plein emploi si ardemment désiré par les décideurs politiques et économiques.
On travaille aujourd'hui beaucoup pour l'obsolescence ce qui a provoqué une certaine camelotisation des appareils et gadgets vendus dans le commerce. Cela fait que les appareils sont plus souvent remplacés, ce qui augmente les ventes. L'accent est mis sur la quantité plus que sur la qualité. La croissance de la production fait augmenter le produit national brut (PNB) qui est supposé être une mesure de la prospérité. Cette conception de l'activité humaine conduit nécessairement à une production toujours plus grande de déchets non recyclables, même si des efforts ont été faits pour promouvoir ce que l'on appelle abusivement «l'écologie industrielle» qui consiste, en simplifiant, à utiliser les déchets des uns comme matière première pour les autres (voir: Suren Erkman, Vers une écologie industrielle, Editions Charles Léopold Mayer, 2004). Même si cette démarche est à saluer, elle ne résoudra pas le problème de fond. D'abord parce qu'elle a besoin d'énergie et ensuite parce qu'elle ne peut pas empêcher la production de déchets non recyclables auxquels il faudra bien trouver une destination. De plus, il y a des déchets tout à fait irrécupérables et dangereux, par exemple certaines substances chimiques et surtout les déchets radioactifs qui dans un premier temps avaient tout simplement été jetés dans la mer.
De toute façon, le recyclage a des limites. Plus le taux de recyclage augmente, plus il faut d'énergie pour le réaliser. C'est aussi le problème de l'épuration des eaux usées, telle que mise en œuvre dans les stations d'épuration. Plus les quantités d'eaux usées sont grandes et plus on veut pousser l'épuration, plus il faut de place et d'énergie. C'est le prix à payer pour se substituer aux mécanismes naturels. On finira par réaliser que pour sortir de ces difficultés, il faut cesser de produire des déchets non recyclables (la nature n'en produit pas), et réduire drastiquement le gaspillage de l'eau. Cela exige en particulier de remplacer le WC par des toilettes sèches.
Ces restrictions aboutiront aussi à travailler moins. Si l'on choisit de se partager le travail restant, on travaillera moins d'heures par jour ou moins de jours par semaine. Il sera donc nécessaire de s'inventer d'autres manières de s'occuper. Ivan Illich parlait déjà du chômage créateur: «L'idéologie qui identifie progrès et abondance dégrade des activités non marchandes même dans des régions où la plupart des besoins étaient encore satisfaits par un mode de vie de subsistance.» (Ivan Illich, Le chômage créateur, Firmin-Didot S.A., 1977). Le chômage créateur c'est aussi de faire de manière libre ce qui est produit par le travail lié. D'encourager le bricolage par exemple. Cela met en question la notion de brevet: si on a une bonne idée, pourquoi ne pas laisser tout le monde en profiter librement? Le brevet illustre la prédominance actuelle de la pensée économique et du profit sur la coopération et la convivialité.
Les activités artistiques et culturelles permettent aussi de réduire le travail lié. Par ailleurs, le travail libre ou lié devra se concentrer davantage sur la satisfaction des besoins fondamentaux, à savoir se nourrir, se loger, s'habiller. Ces activités premières n'occupent aujourd'hui qu'une faible partie du temps de travail et sont de plus exécutées en bonne partie par des machines. La fin du pétrole va forcer beaucoup de monde à utiliser la force musculaire pour les activités premières. Cela devrait favoriser l'entraide et la collaboration. Et sans pétrole il y aura moins besoin de routes et d'aéroports. L'avion solaire de Bertrand Piccard c'est rigolo, mais ça ne résout aucun problème de transport. La voiture électrique ne peut se substituer que très partiellement aux voitures à moteurs thermiques et entraînera un problème pas triste de gestion de batteries. L'activité économique est donc condamnée à diminuer à plus long terme. Et sur une planète finie, c'est de toute façon inéluctable, et pourquoi pas, réjouissant.