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La peur a toujours été une très mauvaise conseillère d'autant plus qu'elle contribue à créer le sentiment d'insécurité qui pousse à la délation, au réflexe de repli sur soi, au jugement sommaire d'autrui et donc à la dégradation de l'économie et au délitement social qui, à leur tour, produisent encore plus de peur et donc d'insécurité. C'est la définition même du cercle vicieux.
La dégradation de la situation économique accentue cette peur et celle-ci empêche une juste appréciation des causes qui ont amené à ce que le travail disparaisse en dépit des efforts faits pour le conserver. Cette peur influence notre perception des mœurs et fait que son évolution devient négative, poussant une partie des parents à la démission, beaucoup de travailleurs à la révolte et encore d'autres à l'apathie, ce qui produit encore plus d'insécurité et donc de peur. En réaction, cette peur contribue à augmenter le nombre des délits et des incivilités et ceci malgré la multiplication des caméras de surveillance, le foisonnement des agences privées, l'augmentation du nombre des policiers et des armes vendues par les armuriers, ce qui, au lieu de produire de la sécurité, inspire encore plus d'insécurité car cela confirme la nature «dangereuse» de notre société.
Lorsque la peur règne, le sentiment d'insécurité est exacerbé et plus particulièrement dans les villes où malgré les efforts des autorités pour faire face à la situation en mettant plus de policiers dans la rue, en construisant des nouvelles places en prison1, en durcissant le code pénal, en fichant des milliers de personnes, il en est à son paroxysme et devient complètement disproportionné. En effet, par ces efforts orientés, une multitude de comportements est criminalisée, où le petit tagueur, l'automobiliste distrait, le sans-papier qui travaille pour vivre, le jeune qui commet une «incivilité» en criant son malaise, deviennent des criminels et, en récidivant, pourraient même devoir faire de la prison.
Paradoxalement, au lieu d'améliorer la sécurité comme on veut nous le faire croire, alors que les prisons sont pleines au point que les gardiens s'en inquiètent, le sentiment d'insécurité augmente car à la peur du délinquant, s'ajoute la peur de sa révolte. Contrairement à ces théories répressives diffusées par des magistrats se disant pourtant «libéraux» et se réclamant de «l'humanisme», la population n'est pas pour autant apaisée car il subsiste en elle cette peur profonde qui ne peut se dissiper que par un travail sur soi et une compréhension holistique des sources de ses peurs, travail personnel à mille lieux des effets d'annonce présentés comme tant de «solutions» à l'insécurité par ceux-là même qui pensent pouvoir la faire disparaître à force d'incantations populistes1!
De tout temps, pour maintenir les gens dans un état de soumission complaisante et les soumettre à leur volonté, les autorités ont utilisé la peur en créant de toute pièce le sentiment d'insécurité. Ce faisant, c'est la population elle-même qui réclame des mesures censées endiguer les dérives ressenties comme criminalistiques d'une forte partie des gens excédés par les licenciements, les mises en chômage, les discriminations et les mises au pilori. Sous le fallacieux prétexte de répondre «aux besoins de la population» et donner l'impression d'agir, les autorités profitent de cette dégradation sociale pour durcir les lois, policer la société, renforcer l'arsenal de répression, créant ainsi un état policier.
La peur et l'insécurité sont un couple infernal dont les conséquences sont la criminalisation de toute une série de gens qui normalement auraient dû s'en sortir avec quelques conseils et aides bien placés mais qui, dans le contexte actuel, se retrouvent dans de très sales draps parce qu'ils sont investis de toutes les craintes, peurs, angoisses que finit par porter la population convaincue que la situation se dégrade et qu'il «faut faire quelque chose» même si cela aggrave les choses, même si cela renforce le pouvoir dominant, même si cela ne résout aucun des problèmes de société qui font si peur!
Avant de vouloir «faire quelque chose», une analyse approfondie de ce conditionnement social est nécessaire, car si nous voulons résoudre cette problématique, nous devons d'abord comprendre pourquoi nous en sommes là, ce qui produit cette situation économique tendue, ce qui délite la cohésion sociale, ce qui dégrade les mœurs, ce qui fait les incivilités et l'insécurité, ce qui pousse les gens à la démission et la résignation; bref, nous devons comprendre ce qui fait que nous ayons si peur et ensuite, forts de cette connaissance, voir comment les autorités profitent de la détérioration de la société pour mettre sur pied une société de contrôle (2) visant la soumission de la population à leurs principes idéologiques et à leurs visions de la société.
On a même l'impression que, d'une manière ou d'une autre, cette insécurité arrange le pouvoir qui en profite pour s'arroger encore plus de pouvoir et c'est peut-être là une des clés pour s'en sortir, soit que la lutte contre l'insécurité passera non pas par la prison, la police ou des lois dures, mais par une prise de conscience du corps social de sa propre compromission dans la montée de l'insécurité et par une lutte sans merci contre l'instrumentalisation de la peur qui produit l'insécurité, le délitement social, la dégradation de l'économie, les démissions en tout genre et tous ces autres problèmes de société qui font si peur à nos dirigeants.
Georges Tafelmacher, Pully
1. Voir article du Courrier du samedi 11 mai 2013
2. Voir La société de contrôle