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Dans les années 50, un dénommé King Hubbert, pétrographe chez Shell, s'est aperçu que la production d'un gisement pétrolier déclinait à partir du moment où la moitié de la réserve avait été exploitée. Connaissant l'état des réserves estimées pour les États-Unis, Hubbert a prédit que la production totale atteindrait son pic vers 1970. C'est ce qu'on a pu observer en 1971, date à partir de laquelle la production des É.-U. n'a cessé de décliner…
Plus récemment, des spécialistes regroupés au sein de l'association pour l'étude du pic pétrolier et gazier (Association for the Study of Peak Oil and Gas – ASPO) ont appliqué le modèle de Hubbert à l'ensemble des ressources pétrolières et gazières de la planète. Même en tenant compte des gisements difficile d'accès (eaux profondes) ou coûteux à l'exploitation (sables asphaltiques, schistes bitumineux), ils prédisent que le peak oil (pic de production pétrolière) sera atteint aux environs de 2010.
La question n'est dès lors plus de savoir si les réserves couvrent 30 ou 40 ans de consommation au rythme actuel (moins si l'on mise sur une croissance soutenue de la demande). Il s'agit plutôt d'imaginer ce qui se passera lorsque, pour la première fois dans l'histoire de l'économie mondiale, l'offre ne pourra suivre la demande, même si le prix s'envole. Si tous les acteurs du marché anticipent une hausse du cours, l'offre va se contracter («mieux vaut vendre demain»), les spéculateurs vont s'en donner à cœur joie et les cours vont exploser!
Hormis les économistes du Club de Rome dans les années 70, la science économique se refuse à modéliser une telle situation. C'est d'autant plus surprenant que de nombreuses autres ressources naturelles sont en passe d'être épuisées. Bien sûr, il sera toujours possible de passer aux énergies renouvelables. Malheureusement, cela ne se fera pas sur deux mois, mais sur plusieurs décennies! Que va-t-il se passer entre-temps? La récession économique est programmée, les caisses publiques vont se vider (d'autant plus vite si l'on accorde une défiscalisation de l'énergie) et les moyens de l'État pour soutenir la reconversion énergétique disparaîtront très vite. Parmi d'autres investissements stratégiques, on peut penser aux milliards nécessaires en Suisse pour développer les infrastructures ferroviaires afin de transporter des millions d'automobilistes convertis.
Les spécialistes expédient la question. Il y aurait les “pessimistes” (les bonimenteurs) et les “optimistes” (les gens sérieux qui savent que d'autres gens sérieux trouveront nécessairement des réponses comme cela a toujours été le cas). Une analyse que partage l'Office fédéral de l'énergie (voir “Versorgung mit fossilen Treib- und Brennstoffen“, OFEN, novembre 2003).
Plus récemment (2005), la banque d'investissement IXIS du groupe Caisse d'Epargne, tablant sur les capacités de production et l'évolution de la demande calculées par l'Agence internationale de l'énergie (AIE), a fait une estimation de ce que pourrait être le cours du pétrole 10 ans plus tard. Ainsi, sans prendre en compte les prévisions «alarmistes» des tenants du peak oil, elle conclut: «il ne nous semble pas déraisonnable de prévoir un prix de 380 dollars le baril pour le pétrole en 2015».
Tout le monde est d'accord pour considérer le pétrole comme une ressource épuisable, pour admettre que la croissance exponentielle (+2% par an depuis 20 ans) ne se poursuivra pas jusqu'à la dernière goutte et pour constater que notre dépendance au pétrole est telle que nous paierons (presque) n'importe quel prix pour satisfaire ce besoin.
Se fondant globalement sur les mêmes données, l'Agence internationale de l'énergie (AIE) estime que la consommation de produits pétroliers devrait augmenter de 60% d'ici à 2050 (!) et réfute totalement les calculs de l'ASPO qu'elle considère comme tout simplement pessimistes. En particulier, elle fait valoir que les progrès technologiques et l'augmentation des investissements en matière de prospection, extraction, transport et transformation permettront de repousser la limite de plusieurs dizaines d'années. Entre ces modèles totalement incompatibles, les décideurs politiques choisissent donc selon des critères idéologiques.
Dans les années 1980, les gouvernements du G7 étaient confrontés à une situation très semblable en ce qui concerne le réchauffement climatique et les causes imputables à l'activité humaine. Des avis parfois divergents étaient alors exprimés dans la communauté scientifique. C'est ce qui a conduit le G7 à demander la création du groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) qui, depuis lors, rend des rapports de plus en plus précis sur cette question et grâce auxquels les gouvernements peuvent élaborer des politiques.
Je propose donc de constituer un groupe d'experts chargé, d'ici 2012, de modéliser l'évolution de la production totale de pétrole et de gaz à l'horizon 2050. Ce groupe devrait comprendre des économistes à même de proposer un modèle décrivant ce qui pourrait se passer sur les marchés financiers et dans l'économie réelle si l'offre ne parvenait plus à satisfaire la demande, même à 400 dollars le baril de brut. Nul doute que ses conclusions – plus que celles du GIEC – contribueraient à convaincre la «droite économique» de la nécessité absolue et urgente de réduire notre consommation d'énergie fossile et nos émissions de CO2 selon le rythme d'épuisement «naturel» de la ressource, soit 2 à 3% chaque année. Du coup, on repousserait aussi de quelques siècles les conflits autour de la «dernière goutte de pétrole». Une sorte de «bénéfice collatéral».
François Marthaler, Conseiller d'État, Les Verts
Chef du département des infrastructures du Canton de Vaud