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Août 1916, Jules Humbert-Droz, jeune pasteur, journaliste, est renvoyé devant le tribunal militaire de Neuchâtel pour refus de servir. Celui qui deviendra, parmi ses multiples engagements militants, secrétaire de l'Internationale communiste, puis conseiller national, puis secrétaire du parti socialiste suisse, y développe alors une plaidoirie dont bien des aspects demeurent aujourd'hui d'actualité. En pleine Première Guerre mondiale avec, en toile de fond, la tragédie qui s'étend de jour en jour, il se dit d'accord de défendre les biens supérieurs de l'humanité, «mais il faut les défendre par des moyens qui répondent au but qu'on se propose. La guerre contemporaine vient nous dire une fois de plus que le système militariste n'est pas le moyen à employer, qu'il va juste à l'encontre du but».
Il ajoute: «La civilisation, c'est le bien qui, lentement, progressivement, chasse le mal devant lui. C'est la science qui fait la lumière là où l'ignorance régnait, ce sont les forces spirituelles de l'humanité qui vainquent lentement les forces bestiales. La civilisation c'est cette progression séculaire de l'humanité qui sort de l'animalité pour aller vers ses destinées supérieures. Chaque génération a pour mission de porter un peu plus haut le degré de civilisation, de développer et de grandir le patrimoine que lui ont légué les générations qui précèdent. La civilisation c'est ce grand élan de vie bonne et généreuse qui s'oppose à toutes les bassesses, à tous les attraits du monde matérialiste et bestial dont nous sortons. La civilisation, c'est précisément le contraire de tout ce que développent la guerre et le système militariste dans le monde; c'est un bien à défendre contre la barbarie, je suis d'accord, mais c'est un bien à défendre autrement que par les armes et la guerre».
Les valeurs que Jules Humbert-Droz inscrit sous le terme de «civilisation», comprenant sans aucun doute le respect de la vie, la protection de l'intégrité physique et du patrimoine, doivent toujours être défendues. Mais la question du comment reste d'actualité. Depuis quelques décennies, le concept de défense nationale est planifié selon différents axes: la défense militaire, la défense civile, la défense économique et la prévention des conflits. Au premier volet est consacré l'essentiel des forces humaines et financières; au dernier n'est attribuée qu'une part congrue des efforts. Et pourtant, même si c'est une lapalissade de le dire, c'est bien par le biais de la prévention des conflits que la sécurité est la mieux assurée durablement.
Schématiquement dit, lorsqu'une solidarité, notamment matérielle, est vécue entre les citoyens d'un même pays, lorsque ces derniers partagent des valeurs liées à l'organisation de la société, les risques de conflits internes – y compris de conflits pouvant déboucher sur de la violence – sont grandement atténués. Chaque fois que cette solidarité est exercée à l'échelle internationale, il en va de même. Pour ne citer qu'un exemple, si le peuple devait accepter l'initiative populaire «anti minarets», la perception de la Suisse au sein des pays musulmans serait moins souriante, la cote d'amitié, aussi subjective soit-elle, en serait effritée.Certes, cet épisode, à lui seul, ne peut raisonnablement déboucher sur l'amorce d'un conflit mais, au fil des années, le cumul de mésententes de même nature entre les peuples, le cumul de vexations, le cumul d'échanges économiques toujours au profit des plus puissants, l'utilisation non partagée de ressources énergétiques créent hélas les conditions propres à la naissance de conflits. Aussi, assurer la sécurité à long terme, c'est bien tenter d'éliminer à la source tout acte potentiellement porteur de discorde et d'injustice.
La Suisse a donc tout intérêt – et cela aurait aussi valeur d'exemple au moment où elle est critiquée pour les pratiques financières de certaines de ses banques – à être active dans l'énumération des causes susceptibles de déboucher sur des conflits à l'intérieur du pays ou avecl'extérieur. A cet effet, il conviendrait de créer un «lieu» officiel permanent, composé d'experts indépendants provenant par exemple des milieux du droit, de l'économie, de l'éthique, des relations internationales, de la coopération au développement, de la sphère sociale. A eux, tout en restant ouverts aux observations et suggestions venant de l'extérieur de leur cercle, d'établir par ce bout particulier de la lorgnette la liste des causes de conflits potentiels et de proposer des solutions. Puis, fort de ces réflexions, aux autorités politiques de prendre année après année les mesures qui s'imposent. Le travail est de longue haleine, mais il mérite d'être accompli dans l'intérêt de tous.Aujourd'hui, la Suisse, seule ou avec d'autres nations, met à disposition ses bons offices pour faciliter la résolution de différents, de conflits, entre pays voire au sein d'un même pays. Cette activité, la plus souvent discrète, doit être poursuivie, voire si possible amplifiée, et disposer à cet effet des moyens nécessaires. Ces démarches, elles aussi, s'inscrivent dans l'esprit de la prévention des conflits ou dans la volonté de faire cesser ceux qui se sont embrasés.
Lorsque la guerre est aux portes, lorsque le terrorisme parle, il n'est jamais trop tard pour faire de la prévention mais cette seule démarche paraître illusoire pour garantir l'intégrité physique de la population. Aujourd'hui, la guerre ne menace pas la Suisse. C'est justement le temps où il ne faut pas baisser les bras et mettre ses forces dans la construction de la «civilisation» espérée par Jules Humbert-Droz, libre, démocratique, juste et, ajouterions-nous, solidaire et respectueuse de l'environnement. Cette civilisation, bâtie à l'échelle mondiale, ne nécessitera plus de préparation militaire.