2024 | 2023 | 2022 | 2021 | 2020 | 2019 | 2018 | |||
2017 | 2016 | 2015 | 2014 | 2013 | 2012 | 2011 | |||
2010 | 2009 | 2008 | 2007 | 2006 | + 100 ans d'archives ! | ||||
Rechercher un seul mot dans les articles :
|
La défense nationale n'est pas une expression obsolète même si sa compréhension est variable en raison des contextes historiques et de ses enjeux nouveaux. L'idée de se défendre n'a ainsi rien d'extraordinaire. Au contraire, c'est bien une des preuves naturelles de l'existence d'une nation avec son histoire, sa territorialité, ses cultures, ses autres singularités et son destin dans le concert de nations. La défense nationale, qui n'a pas forcément partie liée avec le nationalisme, pourrait être un signe objectif de diversité dont le monde a besoin. Bien entendu, l'idée même de défense nationale (notamment armée) n'a pas pour vocation première de faire la guerre contrairement à ce que l'on peut imaginer. Ainsi, une opposition primaire à l'idée de défense nationale serait simplement, à mon avis, un véritable leurre.
Loin de moi la farouche volonté de plaider pour la défense nationale ou l'armée nationale, termes interchangeables dans cette réflexion. Plutôt, il s'agit de répondre aux questions suivantes: Contre qui se défendre dans cet univers de plus en plus mondialisé? Comment et jusqu'où la notion de défense nationale est-elle pertinente aujourd'hui?
Je me permets une parenthèse, en sortant du cadre de l'Europe actuelle, pour soulever cette tendance qui me paraît révoltante: La défense nationale joue un rôle spécifique (cynique) dans de nombreux pays du Sud du globe. Les armées nationales, à défaut de succomber aux assauts des mouvements rebelles, les subissent assez souvent. Au lieu d'être au service de la nation, elles sont réduites à être au service de celui qui tient le sceptre et qui, arbitrairement, incarne l'ensemble de la nation. Le mobutisme au Congo (ex-Zaïre), les pouvoirs pseudo-démocratiques concentrés en Afrique centrale notamment et bien d'autres dictatures préexistantes, explicitent nerveusement cette dérive de la défense nationale à la Louis XIV ou à la Napoléon Bonaparte. L'armée nationale terrorise les jeunes affamés, les réduits au silence, les élimine simplement. Ainsi, avec le soutien des «violeurs planétaires professionnels» 1, les armées de certains pays parviennent à retourner les fusils contre ceux qui, ironie du sort, paient les impôts et contribuent malgré eux à l'achat de ces armes.
Par contre, la mondialisation actuelle, avec son développement intérieur et le rythme de sa progression dans l'espace, atténue sensiblement l'idée de se défendre militairement. La frénésie de l'adhésion à l'Union européenne et à l'espace Schengen réduit presque à zéro toute sorte de menace à l'intérieur du vieux continent. Aujourd'hui, le risque que les fantômes du fascisme s'accaparent du pouvoir est extrêmement faible, même si quelques mouvements nazis continueront d'errer et d'exister comme de tristes avatars d'une liberté d'expression inhérente à la démocratie. Le fascisme n'a pas d'avenir. A la vérité, à quelques exceptions près, nul besoin de défense nationale (armée) pour canaliser ces mouvements.
Aussi, même si la menace militaire nord-coréenne reste plus ou moins d'actualité, la guerre froide qui a divisé le monde en deux grands blocs, Est et Ouest, s'est sérieusement amenuisée. C'est dans le rapport avec une extériorité lointaine et plus complexe que la défense pourrait avoir du sens. La guerre en Afghanistan contre les Talibans semble géographiquement tenable. Dans le monde occidental, l'idée selon laquelle un certain monde musulman, notamment via l'islamisme et ses éventuelles ramifications, serait ennemie des libertés est avérée. Après des décennies, la menace militaire semble s'être externalisée et davantage se localiser (cas de la Somalie). On peut cependant relativiser les distances étant donné qu'au gré des mouvements migratoires irréversibles, les peuples se mélangent sensiblement; et ce qui paraît lointain est furieusement proche.
A mon avis, au-delà de l'idée de regroupement des nations – qui nécessite aussi bien entendu une armée regroupée à l'image de l'OTAN – un pays sans défense nationale relève du monde orphique. On peut revoir les questions de dépense, de gestion, de priorité, etc., mais le principe d'une armée nationale ne saurait disparaître comme une peau de chagrin.
Par contre, toute défense serait un échec si elle se prive du dialogue et s'enlise dans une obsédante «volonté de puissance» (Nietzsche) ou «l'art de vaincre sans avoir raison» 2. La nature des conflits a évolué et on a bien compris que le pouvoir se trouve ailleurs, non pas dans la force brute des muscles et des armes, mais dans la qualité des idées, leur capacité de persuasion, leur intelligibilité, leur sens, etc.
La vraie défense, au-delà de l'illusion onirique ci-haut évoquée, serait de donner plus de consistance à ce que nous appelons liberté universelle qui ne se réduit pas au droit-de-l'hommisme occidental. Le double langage dominant qui prêche à la fois la démocratie et la terreur, le respect et le mépris doit radicalement se transformer en un langage authentiquement porteur de paix. Seule la vérité est en mesure de protéger les nations contre leurs propres turpitudes.
1 Expression de l'essayiste congolais Bolya, Afrique, le maillon faible, Paris, Le serpent à Plumes, 2002, p. 91.
2 Cf. Cheick Hamidou Kane, L'aventure ambiguë, Paris, Julliard, 1961.