2024 | 2023 | 2022 | 2021 | 2020 | 2019 | 2018 | |||
2017 | 2016 | 2015 | 2014 | 2013 | 2012 | 2011 | |||
2010 | 2009 | 2008 | 2007 | 2006 | + 100 ans d'archives ! | ||||
Rechercher un seul mot dans les articles :
|
Stéphane Koch est président
de l'Internet Society (ISOC)
Geneva depuis 2001
Ces dernières années tout s'est accéléré. La vague informationnelle s'est transformée en un gigantesque tsunami, faisant de notre société la nouvelle Atlantide des océans numériques. Question existentielle: comment faire pour ne pas couler et disparaître corps et biens comme le continent légendaire ?
La vitesse croissante des échanges, la surabondance des données et leur fluidité, nous donne l'impression insidieuse que dorénavant le temps nous échappe. Auparavant, lorsque l'on voulait être en mesure d'atteindre une personne, celle-ci devait se trouver à proximité du téléphone au moment de l'appel. La plate-forme de communication étant alors dissociée du destinataire final. Cette situation prédisposait à une latence entre le moment où le message était émis et celui ou il était réceptionné. L'apparition de la téléphonie mobile et du courriel a démultiplié les possibilités de contact. Créant un nouveau stress engendré par une perception implicite «d'immédiateté» des échanges.
Malgré ces changements, nous sommes restés sur une dynamique de réflexion basée sur des croyances empiriques de société pour appréhender les nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC). L'ère du tout numérique a enfanté cette «société de l'information» dont on peine à définir les frontières virtuelles. Notion dont la subjectivité se trouve renforcée par l'aspect intangible de la matière qui la compose: chaque information est numérisée, les supports physiques sont dématérialisés, l'image côtoie le son et le texte. Ces données hétérogènes, segmentées sous forme de paquets, circulent sur une plate-forme standardisée unique à l'aide du protocole TCP/IP.
La perception de ce nouvel environnement implique une remise en cause philosophique. Miroir de vérité, internet formalise les courants tacites présents au sein de la société. Il s'y reflète une image sans compromis du monde tel que nous l'avons créé, avec ses anges et ses démons. Les valeurs fondamentales du bien et du mal s'y expriment dans toutes leurs dimensions et quelquefois nous renvoient ces réalités de notre quotidien dont nous préférons nous voiler la face. Dans le passé, le mode d'évolution séculaire de la société donnait à l'humanité le temps nécessaire pour adapter sa perception et ses valeurs aux changements en cours. Ces temps-là sont révolus, maintenant les mutations sont rapides et multiples, leur compréhension en est rendue d'autant plus difficile par une diminution de la marge de réflexion.
La prise en compte de ces aspects sociologiques permet de mieux appréhender le déphasage qui existe au niveau de la perception des nouveaux enjeux de la société numérique. L'information est devenue une entité, l'arme ultime des pays riches. Le temps écoulé depuis les événements du 11 septembre 2001 a démontré, tant au niveau politique qu'économique, que la maîtrise de l'information représente aujourd'hui un aspect stratégique. Pour certains gouvernements, il est devenu indispensable de prévoir les réactions de l'opinion. Le but ultime étant de fournir de manière anticipative les éléments «appropriés» sur lesquels le public se basera pour construire ses convictions et ses décisions.
Les «unités d'opération d'information» et «unités d'opérations psychologiques» de l'armée représentent bien cette ère nouvelle où les guerres se gagnent en premier lieu sur le terrain des opinions. Sur ce nouveau théâtre d'opération, les différents fournisseurs d'informations et acteurs du monde de la communication, sont les instruments – conscients ou inconscients – d'influences et de manipulations. Compte tenu de la rapidité des échanges, de la diminution du temps de traitement de l'information et de la professionnalisation des sources, il devient dès lors de plus en plus difficile d'avoir les repères nécessaires pour conserver son libre-arbitre.
Jusqu'à récemment, le caractère hétérogène des informations concernées, leur délocalisation, de même que leur volume de moindre importance, représentaient une certaine difficulté à leur regroupement et à leur traitement. Actuellement, la capacité à «fusionner» ces données est rendue possible par les outils de profilage tels que le «data mining» et le «text mining»; Internet résout quant à lui les problèmes de délocalisations. De plus, ces dernières années on a assisté à la création d'un nombre incalculable de nouvelles sources de données, alimentées volontairement par un public peu conscient des enjeux liés à l'exploitation de leur information personnelle (les bases de données clients des grandes libraires du net, les cartes de fidélisation diverses, etc.). De la création à l'exploitation le pas a vite été franchi…
La consistance même de l'information a changé, sa numérisation sous forme de bits en a fait un élément instable et extrêmement volatile. La vitesse des échanges, l'instabilité des supports de transport des données, l'augmentation du volume même de celles-ci, ont abouti à des sortes d'orages numériques dont la marge de prédiction s'est amoindrie d'autant. La capacité d'anticipation, de même que la traçabilité de l'origine de l'information en ont été réduites. Ajoutons à cette situation peu favorable, la notion de «déconstruction» de l'information et la difficulté à contrôler l'intégrité de ce que l'on numérise. Une fois que l'information a été transformée en bits, comment garantir de retrouver un contenu identique à l'arrivée ?
De l'aspect de réactivité à l'information peut découler la capacité à désinformer grâce à la gestion simultanée des facteurs de temps, d'espace et de volume. La multiplicité des fronts informationnels, la difficulté d'identification des acteurs ou de l'origine même des attaques, ont augmenté la problématique de la capacité de réponse à une utilisation offensive de l'information.
Peut-on encore se référer simplement au «fait» (à l'information transmise)? Il est vraisemblable qu'actuellement il faut augmenter le nombre de paramètres de contrôle de l'information. La détection de ces signaux dits «faibles» passe par la surveillance de l'environnement même de l'information transmise: on s'attachera non seulement à la qualité de la source, mais aux différents éléments présents dans le contexte de celle-ci. Incidences, coïncidences et conséquences dues à l'apparition d'un élément informationnel, sont aussi à prendre en compte dans une analyse globale. Un fossé est apparu entre le politique et l'opinion publique. Les attentes des électeurs vis-à-vis de leurs représentants sont quelques fois en contradiction avec les agissements de ceux-ci. (…)