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J’ai pensé quelquefois assez profondément; mais rarement avec plaisir, presque toujours contre mon gré et comme par force: la rêverie me délasse et m’amuse, la réflexion me fatigue et m’attriste; penser fut toujours pour moi une occupation pénible et sans charme. Quelquefois mes rêveries finissent par la méditation, mais plus souvent mes méditations finissent par la rêverie, et durant ces égarements mon âme erre et plane dans l’univers sur les ailes de l’imagination, dans des extases qui passent tout autre jouissance.
Tant que je goûtai celle-là dans toute sa pureté, toute autre occupation me fut toujours insipide. Mais quand une fois, jeté dans la carrière littéraire par des impulsions étrangères, je sentis la fatigue du travail d’esprit et l’importunité d’une célébrité malheureuse, je sentis en même temps languir et s’attiédir mes douces rêveries et bientôt forcé de m’occuper malgré moi de ma triste situation, je ne pus plus retrouver que bien rarement ces chères extases qui durant cinquante ans m’avaient tenu lieu de fortune et de gloire, et sans autre dépense que celle du temps, m’avait rendu dans l’oisiveté le plus heureux des mortels.