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MB: Jusqu’où l’image conditionne les gens?
GH: Nous vivons en état constant de conditionnement par l’image, c’està- dire que par «image» il faut entendre la perception visible, l’image est notre rapport au monde. Nous sommes immergés, nous vivons par le biais d’images. Aussi par des sons, par des sensations évidemment. L’image est l’élément le plus important des constantes de notre vie, nous sommes témoins oculaires, on a vu quelque chose. Nous sommes très conditionnés à croire aux images. On commence par croire à la réalité des images, puis on fait un pas en arrière pour les remettre en question.
MB: Quand on voit une image, automatiquement on croit à sa vérité?
GH: On est, comment dire, programmé pour cela. On doit faire un travail de distanciation. On peut mettre en doute la parole de quelqu’un plus facilement qu’une image. Surtout des images auxquelles on est habitué à donner un statut de vérité, notamment les images photographiques. On se positionne toujours dans l’idée de penser qu’il y a un lien avec la vérité, qu’il y a une trace de vérité, ce qui n’est pas faux. En même temps la réalité est tellement polyforme, elle renferme tellement de points vues qu’un petit carré de réalité peut lui faire dire tout ce qu’on veut. On en est conscient quelque part mais il nous faut accomplir un travail mental pour s’en persuader. La première réaction n’est pas de voir la photo comme un élément fabriqué, comme un élément matériel, on voit bien ce qui est sur la photo, on se dit: «Tiens regarde, il est comme ça, ah tiens il se passait ça, il a fait ceci ou cela», alors que c’est déjà une mise en scène, pas forcément une fabrication, mais c’est toujours une mise en scène.
MB: Comment les gens perçoivent-ils cette dictature de l’image?
GH: On a autant de réactions qu’on a de personnes. Comme c’est une démarche active que nous devons déclencher pour prendre du recul, il faut bien imaginer que nous devrions être socialement, culturellement préparés, formés à le faire. Or, le gros problème c’est qu’on vit dans une société qui nous apprend bien à lire, parfois même en plusieurs langues, qui nous apprend à faire du calcul, à écrire, mais qui ignore la lecture de l’image. On fonctionne à fond avec des images, constamment et de plus en plus, mais au moment de la formation nous n’avons à aucun moment un enseignement qui nous permet de prendre de la distance avec les images. On nous apprend un peu l’histoire de la peinture, à apprécier tel ou tel film, un peu d’histoire du cinéma, on nous donne des éléments d’esthétique mais on ne nous apprend pas à savoir ce qu’on a devant les yeux quand on regarde un talk show, un téléjournal, une photo dans un magazine ou une carte postale, à prendre la distance nécessaire et à activer une sorte de regard qui puisse rendre plus évidents les enjeux de cette représentation et non pas seulement une consommation. A aucun moment de la formation, même universitaire – sauf mon cours – il n’y a une mise en garde qui est, je trouve, le minimum que la société devrait nous fournir vu l’importance de l’image dans la communication. MB: On sait combien les enfants, les adolescents, sont de grands consommateurs d’images. Peut-on dire que dans l’actuelle déstabilisation de tout un pan de la jeunesse, l’image y est pour quelque chose? GH: Je dirai que la production de masse y est depuis toujours pour quelque chose, et l’image est un des grands référents de la jeunesse. Je ne pense pas qu’on a une jeunesse moins bonne ou meilleure qu’il y a 10 ou 30 ans. De toutes façons les jeunes sont plus fragiles dans un moment de leur vie, peut-être plus influençables et voilà, qu’on leur nie les éléments de compréhension de leurs référents culturels et on leur amène seulement des référents culturels dans lesquels ils ne se reconnaissent pas. Un ado pourra apprendre par coeur un poème du 16e siècle – et c’est très bien – mais il est aussi important qu’il puisse dire: «Tiens quand je vois un film policier ou Lara Croft ou un autre jeu vidéo qu’est-ce que je suis en train de faire, qu’est-ce que ces images provoquent en moi, comment elles fonctionnent, quelle distance je dois prendre, à quoi je dois les rapprocher ». On prend en charge la formation d’une jeunesse pour lui apprendre une culture qui ne lui parle pas au quotidien, mais qu’il est important de lui transmettre, alors qu’ on abandonne complètement les éléments de compréhension de sa culture sinon dans des termes de refus. La plupart des enseignants recommandent de ne pas aller voir des films d’horreur, de ne pas passer des heures avec des jeux vidéo, «ça vous rend idiots!» Cette méthode ne résout rien parce que ce n’est pas en niant la culture des jeunes, qu’on instruit, par contre ce serait important d’étudier comment ça fonctionne et de transmettre cette compréhension aux élèves. On aurait fait un joli acte de formation. Une fois qu’on a les outils pour se protéger, pour comprendre, on peut quasiment tout consommer, on n’est plus en danger par rapport à ce qu’on peut subir culturellement. On peut faire de bons raisonnements à partir de très mauvais objets culturels.
MB:Donc face à ce refus on ne donne rien en échange?
GH: Non, et ça permet une consommation dans une forme de clandestinité qui crée une barrière entre une culture, celle de l’école et celle d’un autre monde dans lequel on trouve aussi de belles choses, même dans le Tag, dans le Rap il y a de très bons moments de création qui sont un peu en friche, mais certainement valables. Il faut travailler à les décrypter. MB: J’espère que grâce à vous nos lecteurs regarderont un peu différemment le téléjournal, les séries américaines et également les documentaires et les scoops illustrés de la presse écrite.
Propos recueillis par Mousse Boulanger