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Diminution des émissions de gaz à effet de serre, primauté des énergies renouvelables, réduction des inégalités, fin des conflits armés… ces évidences apparaissent de plus en plus comme des vœux pieux. Plus nous prenons conscience de leur urgence et plus les pouvoirs politiques et économiques s'en éloignent. Les effets d'annonce sur la voiture «propre», le commerce «équitable», les produits «bio» ou le développement «durable»… ne trompent plus. Les gaspillages, pollutions, catastrophes et souffrances dans le monde n'ont jamais été aussi inquiétants. Pourtant, les prévisions autorisées relatives au saccage des ressources rares, à l'accroissement des pollutions environnementales et atmosphériques, à la multiplication des risques chimiques, nucléaires et militaires… nous signalent que ce que nous vivons aujourd'hui n'est qu'un avant-goût de ce que l'humanité devra avaler d'ici quelques années.
Pourquoi cette impuissance à maîtriser la croissance alors que l'humanité n'a jamais eu autant de moyens scientifiques et techniques de contrôler sa production et autant d'espoir et même de volonté de se sauver ? Malgré les signaux de plus en plus appuyés et stridents d'une prochaine faillite écologique, économique et sociale, les maîtres du monde n'auront jamais fait autant d'efforts pour les ignorer. Plus encore, ils multiplient de gigantesques chantiers à travers la planète comme jamais ils n'auraient osé le faire, tout en privant des milliards d'êtres humains de leurs ressources vitales et de leurs droits élémentaires. Ils vont jusqu'à réprimer la jeunesse, première victime du productivisme, lorsqu'elle tente, par ses manifestations courageuses et initiatives hardies de sortir de ce qui n'est plus que destructivisme.
Les bonnes résolutions des discours électoraux, conférences internationales, sommets mondiaux, ont fondu comme neige dans la serre planétaire, disparu comme autant d'espèces menacées ou sont oubliées comme les tirades lassantes du mauvais spectacle que nous servent quotidiennement les médias. Il devient évident qu'une décroissance des souffrances, des conflits, des gaspillages et des destructions ne sera possible qu'en grippant l'un ou l'autre des engrenages de la machine productiviste. Pour ce faire, il faudra choisir si ces freins seront serrés par la volonté des humains ou par la détresse d'une nature épuisée. Dans un cas cela s'appellera survie, dans l'autre, agonie.
Parmi les trois rouages, le premier est le travail humain, soit l'énergie physique et mentale qui assure l'emballement productiviste. Contraint à ne dégager que camelotes nuisibles et superflues, ce travail qui épuise, aliène et tue doit cesser et sa force mise au service exclusif de trouvailles libératrices et de plaisirs retrouvés. Cet arrêt de travail général et durable serait alors l'heureux aboutissement des innombrables grèves qui ont ponctué l'histoire du capitalisme, sans jamais lui couper l'appétit de profits.
A défaut d'une grève générale des producteurs, celle des consommateurs, second acteur d'un coup de frein salutaire, forts de leur «pouvoir d'achat», pourrait tout aussi bien faire décroître l'emballement suicidaire de la machine industrielle. En boycottant les produits qu'impose le marché par un sordide conditionnement publicitaire, les enfants esclaves retourneraient jouer, les camionneurs iraient à la pêche, les vendeuses pourraient prendre l'air et la nature environnante nous gaver de ses biens.
Comment alors tout ce monde qui se priverait intentionnellement de salaires, factures et tickets de caisse pourrait-il survivre ? C'est la première question que pose une perspective de décroissance. Elle ne pourra être résolue qu'en nous libérant des contraintes abrutissantes qu'impose un mode de production, de consommation, de communication et de distraction forcés qui ne laisse que le temps de regretter de ne plus en avoir. Libérée de la dictature du Marché et son État mondialisé, l'intelligence collective saura, sans aucun doute, trouver les bonnes réponses, se prendre en charge et décider de son avenir jusque-là confisqué. Un troisième rouage dont le blocage permettrait de dépasser ce matérialisme obsolète est le système de pouvoir de décision des détenteurs privés des ressources énergétiques, matérielles, économiques et humaines. Il suffirait que les choix productifs soient recentrés sur la satisfaction des besoins des êtres humains et de leur environnement pour que la décroissance cesse d'être un vain mot. Cependant, à moins que le pouvoir économique ne change de main, son repentir reste impensable actuellement puisque ce repentir s’opposerait à la course aux profits déguisée en «croissance», «développement» ou en «sécurité». D'ailleurs, bien qu'indispensable à la survie de la planète, l'effacement de sa coterie dominante équivaudrait à un suicide qu'elle n'est pas prête de consentir tant l'odeur des poubelles de l'histoire la rebute.
Faute de pouvoir juguler la production, la consommation et l'accumulation privée qui en découle, la décroissance résultera du proche épuisement de la nature sous toutes ses formes: ressources, espèces, climat. Au cours de l'histoire humaine, cette issue a anéanti plusieurs civilisations, mais jamais l'humanité tout entière. Ce risque est devenu d'une brûlante actualité: la nature, qui fait bien les choses, comme on dit, pourrait alors se charger de mettre un terme définitif aux débordements intempestifs de son espèce la plus dérangeante…