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Quelle que soit la direction empruntée, les panneaux au bord des routes conduisant au Val-de-Travers annoncent tous la même chose: «Berceau de l’absinthe». Les habitants de cette grande vallée neuchâteloise (les Vallonniers) sont fiers de cette appellation et tiennent comme à la prunelle de leurs yeux à cette liqueur.
Mais qu’est-ce que l’absinthe? C’est un ensemble de spiritueux à base de plantes d’absinthe, également appelée «fée verte» ou «bleue». La fabrication, la vente et la consommation de l’absinthe étaient interdites en Suisse de 1910 à 2005. C’est pendant cette période que cette boisson mythique a fait la réputation du Val-de-Travers. On raconte que les gendarmes qui devaient traquer les alambics clandestins ne dédaignaient pas de se procurer quelques bouteilles du précieux élixir. Et que dire de l’anecdote du président Mitterand, en visite dans le canton de Neuchâtel, et à qui on avait servi un dessert à la fée verte!
Une origine ancienne
En Egypte ancienne, l’usage médical d’extraits d’absinthe est mentionné dans le Papyrus Ebers (entre – 1600 et – 1500 av. J.-C.). Pythagore et Hippocrate parlent d’alcool d’absinthe et de son action sur la santé, son effet aphrodisiaque et sa stimulation de la création. Le poète latin Lucrèce mentionne les vertus thérapeutiques de l’absinthe, que l’on fait boire aux enfants malgré l’amertume du breuvage grâce à un peu de miel au bord de la coupe.
Ce n’est que vers la fin du XVIIIe siècle que l’on retrouve la première trace attestée d’absinthe distillée contenant de l’anis vert et du fenouil. La légende veut que ce soit le docteur Pierre Ordinaire qui ait inventé la recette vers 1792. Mais les travaux effectués ont montré que cette recette devait également beaucoup à une herboriste suisse, Henriette (ou Suzanne-Marguerite) Henriod. Celle-ci avait mis au point la première recette d’absinthe qui était un breuvage médicinal.
Le major Dubied acquiert la recette auprès de la mère Henriod en1797 et ouvre, avec son gendre Henri-Louis Pernod, la première distillerie d’absinthe à Couvet au Val-de-Travers (d’où l’appellation de berceau). En 1805, Henri-Louis Pernod prend ses distances avec son beau-père et monte sa propre distillerie à Pontarlier: Pernod Fils qui deviendra la première marque de spiritueux français.
Interdiction de l’absinthe
L’absinthe d’apéritif trouve vite ses adeptes. La guerre d’Algérie exporte le breuvage des fées, on assure qu’il soigne la dysenterie et même… la malaria. Mais l’absinthe est aussi appréciée pour ses vertus autres que médicinales. Les officiers la font découvrir à la bonne société. Ce qu’on appellera «l’Heure Verte » devient un rituel en France entre cinq et sept heures; les cuillères se couvrent de sucre et se gorgent d’absinthe dans l’hexagone. On la boit «au sucre», «anisée» avec un sirop d’anis, ou «gommée» accompagnée d’un sirop de gomme. Les Français consomment alors près de deux litres d’absinthe par habitant et par an.
Plus distinguée qu’un vulgaire «apéritif», plus contestée qu’un verre de vin, elle séduit rapidement les hautes sphères européennes, intellectuels, poètes, peintres… mais aussi les classes ouvrières qui consommaient, au début du 20e siècle, près de 12 absinthes par jour, dit-on!
Mais l’absinthe ne fait pas l’unanimité. On raconte qu’elle rend fou, que la thuyone qu’elle contient est un poison. A l’époque, un litre d’absinthe pouvait contenir jusqu’à 260 mg de thuyone, contre 35 mg aujourd’hui autorisés. Et ce qui devait arriver arriva: le peuple suisse vota en 1908 l’interdiction de l’absinthe.
Fin de la prohibition
Le 1er mars 2005 à minuit, jour anniversaire de la République neuchâteloise, l’interdiction qui frappe la fabrication et la commercialisation de l’absinthe depuis près d’un siècle, est officiellement levée.
Une cérémonie officielle est organisée à Môtiers, le chef-lieu du district du Val-de-Travers, berceau historique de l’absinthe. En présence de la population et des autorités communales et cantonales, la fée verte quitte d’abord la gendarmerie escortée de deux policiers qui l’accompagnent jusqu’à l’Hôtel des Six-Communes où elle est enfermée dans une cage avant d’en être symboliquement libérée; l’absinthe sort de la clandestinité à minuit ce mardi 1er mars 2005. Pour la première fois depuis près d’un siècle, deux distillateurs de la région font publiquement déguster leur production.
Une fondation a ouvert à Môtiers «La Maison de l’Absinthe», laquelle invite à découvrir un patrimoine et des collections uniques, au travers d’une scénographie interactive et d’un film exhibant les facettes de cette boisson chargée d’histoires fantastiques et de magie.
Même si elle ne possède plus la magie qu’elle avait du temps de l’interdiction, l’absinthe reste la carte de visite du Val-de-Travers et surtout le patrimoine dont les Vallonniers sont fiers.