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Février 2020
Les guerres du monde…
Auteur : Marc Gabriel

Peut-être ne l’avez-vous pas encore remarqué, mais nous vivons dans un monde en guerre contre… lui-même, à l’instar d’une guerre civile. Nous avons même une multitude de guerres, certaines franchement reconnues et d’autres qui ne disent pas leur nom. Il y a l’Occident contre l’islamisme, il y a les guerres commerciales opposant les deux géants de l’économie mondiale qui y entraînent le reste de la planète, il y a les combats écologiques contre les méfaits de la surconsommation, véritables guerres d’usure. On se déchire encore et toujours au Moyen-Orient, comme pour mieux échapper à l’avènement d’une nécessaire paix.

Et puis, il y a toutes les autres guéguerres réparties sur la planète, ethniques, religieuses ou prétendues telles. Classées dans nos médias selon leur importance économique, sorte de bourse des guerres. L’Occident soutient son niveau de vie au moyen de ces guerres. Triste et humiliante réalité. Humiliante parce que ça démontre une fois de plus que l’humanité est toujours aussi stupide et n’arrive décidément pas à grandir, moins encore à apprendre de ses erreurs. Triste parce que passer son temps à guerroyer n’a rien de bienheureux. Nous avons peur de la bienveillance et nous nous rassurons en allumant les feux de la haine, que nous dispersons allègrement un peu partout, pourvu que ça ne soit pas trop près.

Il reste d’autres guerres, cachées ou non dites, non avouées… Comme celle qui nous occupe dans ce forum. La guerre entre campagnards et urbains. Celle qui voit s’affronter les générations. Celle qui oppose les hommes aux femmes, celle qui fait rage entre riches et pauvres, celle qui brûle entre parents et enfants, celle qui incendie les préférences sexuelles des unes et des autres, celle qui révèle les failles numériques, celles qui détestent l’étranger, simplement par ce que l’on ne le connaît pas et qu’on ne veut pas le connaître. Toutes ces guerres, non déclarées, empoisonnent l’atmosphère de leurs cascades de méfaits. Il y aurait, hélas, de quoi alimenter un nombre infini de fora de l’essor

Aménagement du territoire

Pour l’heure, la rivalité entre villes et campagnes connaît un sursaut mis en évidence par l’apparition des lois dites d’aménagements du territoire. Les urbains veulent habiter la campagne parce qu’on y dort mieux, mais ils n’y veulent ni coqs matutinaux, ni sonnailles aux vaches, pas plus que d’odeur de purin ou de porcheries, et encore moins de bouses sur l’asphalte de leurs routes qu’il faut déneiger et aplanir à grand frais pour ne pas abîmer leurs précieuses et encombrantes automobiles.

C'est à la campagne qu'on apprend à aimer et servir l'humanité. On n'apprend qu'à la mépriser dans les villes.
– Jean-Jacques Rousseau
(Les confessions)

De leur côté, les campagnards ont besoin de leurs voitures pour aller faire leurs courses, étant donné qu’il n’y a plus de commerces au village. Mais s’ils restent fascinés par les lumières de la ville, ils n’y vont plus que forcés et contraints pour y obtenir un papier administratif quelconque, tant il est vrai que pour les courses ce sera à l’hypermarché du bord de la ville, érigé dans une zone industrielle sans âme, au détriment d’anciens champs agricoles.

En ville on commence à penser «agriculture» verticale, en créant des champs de salades irrigués en permanence, disposés les uns sur les autres dans un espace clos avec lumière artificielle. Ces salades n’auront ni pucerons ni coccinelles, ni limaces ni escargots et leur goût sera standardisé. La viande sera elle aussi artificielle et son goût déterminé en laboratoire. Les céréales seront, comme les salades, cultivées en espaces clos. Resteront les toits des immeubles qui seront herborisés pour faire du miel avec les fleurs qui y pousseront. Nous avons déjà, merci à l’agriculture intensive, dépassé le point où la diversité biologique est plus importante en ville qu’à la campagne, grâce aux monocultures prônées pendant des décennies de productivisme forcené.

On met les villes à la campagne et les campagnes en ville. Les urbains deviennent écologistes alors que les campagnards deviennent de vilains pollueurs… avec leurs vieilles voitures qui ont dix ans ou plus, pendant qu’en ville, on conduit les enfants à l’école à bord de somptueux SUV 4 x 4. Je dois à l’objectivité d’admettre que les urbains campagnards font la même chose avec leurs enfants et les mêmes véhicules surdimensionnés. Les paysans, quant à eux se suicident à qui mieux mieux. Regardez-les pendant l’été, moissonnant, seuls, désespérément seuls dans leurs champs, à bord de leurs énormes machines agricoles coupant, liant et bottelant d’un seul passage toute une récolte. Finies les moissons qui réunissaient tout un peuple muni de fourches légères et de râteaux de bois où chaque meule était assemblée avec art et patience. Finies ces belles meules pointues, remplacées par d’anonymes rouleaux «emplastifiés», tous semblables. Ces opérations n’ont d’autres témoins que l’agriculteur lui-même. Est-ce étonnant si ces malheureux, perchés au sommet de leurs monstres mécaniques, se demandent comment ils vont réussir à payer les traites de la machine et concluent… au désespoir solitaire.

Une guerre éternelle

La guerre ville-campagne n’est pas près de finir, ce «choc des civilisations» ressemble de plus en plus à la cataclysmique rencontre de deux galaxies, c’est violent, long et sans merci. L’une finira par manger l’autre. Or, plus de 65% de la population mondiale vit en ville. Je m’interroge sur l’avenir de la campagne. L’aire urbaine de Tokyo rassemble 43 millions d’âmes, Jakarta 32, Delhi 26, Séoul 25, Bombay, Shanghai et Manille 24. New-York (première occidentale de ce classement est à 23, juste devant la première africaine, Le Caire. La centième ville est Alexandrie avec près de 5 millions d’habitants. 17 des 100 plus grandes villes du monde sont en Chine. Ces villes, même verticales, doivent inexorablement s’agrandir, au détriment des surfaces agricoles qui les bordent.

Nourrir tous ces gens entassés n’est pas sans poser quelques problèmes logistiques et énergétiques dont on commence à percevoir l’ampleur avec son catastrophique impact environnemental. On ne parle d’ailleurs plus de villes, mais d’agglomérations, ce qui décrit bien l’aspect tentaculaire de la colonisation urbaine, définie par la continuité construite, bordée d’une nature structurée par la main de l’homme, boisée ou agricole. Ça fait longtemps qu’il n’y plus de paysans au bord du Léman helvétique; il reste bien quelques vignerons mais ils sont relégués loin des bords de l’eau et ils ne sont pas rares les Cassandre qui prédisent l’avènement d’une immense agglomération qui ira de Genève à Villeneuve au nord et, à plus long terme, du Bouveret à Genève au sud. La mare au milieu servira à l’élevage de poissons artificiels?

L’eau vaudra de l’or et la terre de l’argent. En somme, un conflit territorial, caractéristique des mammifères que nous sommes restés. Peut-être que la sagesse l’emportera… En attendant, il ne nous reste qu’à espérer l’avènement d’une humanité qui trouvera LE modus vivendi capable de surmonter ces antagonismes. Mais, y’a du boulot!

Marc Gabriel

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