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Octobre 2017
Médias et pouvoirs: match nul, 0-0
Auteur : Marc Gabriel

Les récentes élections américaines, puis anglaises et françaises ont mis en lumière quelques dissensions importantes.

Aux Etats-Unis, la situation est même devenue presque cocasse pour ne pas dire ridicule. La nouvelle administration n’hésite pas à «mentir» de façon ostentatoire et va jusqu’à nier l’évidence. En Angleterre, les compromissions honteuses de la nouvelle Première ministre ont donné lieu à de violentes critiques de la presse, non sans raison. Si le tir était plutôt massif il a aussi été dépourvu de nuances. En France, le nouveau pouvoir, qualifié de «jupitérien» provoque dans les médias une sorte de psoriasis qui relève plus de la bouderie vexée que de la critique journalistique. Quant à la Suisse, la concentration de titres entre les mains de Christophe Blocher, en particulier dans l’est du pays, est extrêmement inquiétante.

Jugulés dans les nouvelles «démocratures» (Turquie, Russie, Hongrie, etc.) les médias souffrent, dans nos démocraties, du transfert de la manne publicitaire vers les nouveaux médias électroniques, les fameux «réseaux sociaux».

Les journalistes, ne se contentent pas de simplifier en focalisant sur des oppositions largement artificielles, ils braquent aussi les projecteurs sur les détails extrêmes, sur le paroxysme des crises laissant dans l’ombre la quasi-totalité de la réalité, coupable d’être trop banale, terne, sans intérêt.
– Pierre Bourdieu

Le fait est que, si ce qu’on appelle les réseaux sociaux, les journaux gratuits et les médias électroniques devenus interactifs d’un côté, et les journaux traditionnels, les revues, les reportages, les films documentaires et les journaux télévisés et radiophoniques professionnels de l’autre, ceux-ci s’opposent par le traitement plus ou moins professionnel de l’information, la réalité oblige à constater que, comme en politique, le populisme le plus vulgaire règne sans partage.

Si nous en connaissons les effets sur le peuple depuis le 19e siècle, il faut bien reconnaître que l’apport électronique contemporain n’y a rien ajouté, sauf que, de nos jours, l’informatique permet d’injurier aussi copieusement qu’anonymement. Ainsi, nombre de «courageux» citoyens s’arrogent le droit de couvrir d’immondices virtuelles celles et ceux qui ne pensent pas comme le veut le populisme du plus bas des étages qui soit. Tout y passe: le racisme, le sexisme, l’antisémitisme, le rejet de l’autre et j’en passe.

Aujourd’hui, le pas-politiquement-correct, c’est la générosité, l’accueil, l’altérité, bref l’autre! Nous pouvons reprocher à nos médias de glisser plus ou moins lentement vers le populisme, mais ils ne font que ce qu’il faut pour obtenir les fameux budgets publicitaires. Caresser le populiste dans le sens du poil n’est pas le plus difficile à faire. Il est bien plus facile de nos jours de tirer une salve d’injures faciles que de construire un pont mental entre opinions différentes.

Certes, nos conseillers fédéraux peuvent être et doivent faire l’objet de critiques, parfois sévères, le jeu politique souvent le demande, mais de là à ce qu’ils (et le plus souvent elles, eh oui, s’attaquer aux femmes est encore plus «courageux») reçoivent des tombereaux d’injures salaces sans aucun rapport avec les faits, le plus souvent issues de chiffres faux, de prétendues statistiques, souvent manipulées, de contrevérités infamantes et d’idées reçues, il y a un gouffre qui est allègrement franchi.

Le «nuage médiatique» où tout est mélangé, sans hiérarchisation, où les mots n’ont plus de sens, où les images sont bidonnées, où la propagande se mêle à l’information, où même la publicité se montre telle une information, bref, où plus rien ne produit de la réflexion, mais au contraire tape en dessous de la ceinture et provoque des réactions «pavloviennes» que pudiquement les spécialistes décrivent comme «émotionnelles».

Nous mélangeons réseaux sociaux et informations. Nous avons tous à faire avec des gens qui tiennent pour vrai et fiable ce qu’ils trouvent dispensés sur Facebook et autres Twitter. Même les chefs d’Etat, et pas des moindres, s’y mettent. Tous les politiciens ou presque y sont, et si bon nombre d’entre eux s’en servent de manière honnête, certains n’hésitent pas à y répandre haines, mensonges, propagandes et autres «fake news».

Au nom d’une forme de paix sociale, de plus en plus de médias vont avoir la trouille.
– Nicolas Bedos

Il est, plus que jamais, nécessaire de distinguer le vrai journalisme de ce galimatias informe d’où sont soigneusement exclus les nuances et les arguments. Fonder ses opinions sur les réseaux sociaux est extrêmement dangereux et conduit droit vers la dictature populiste. Rien moins. Il est de bon ton de critiquer «les élites» sans que l’on sache exactement qui représente cette fameuse élite. C’est oublier un peu vite, que le journalisme, le vrai, faisait appel à des «plumes», instruites et cultivées, voire même érudites. C’est oublier encore plus vite que le monde est complexe. Si les solutions étaient simples, s’il fallait se complaire dans les «yaka», les «fokon», les «yzonka», ça se saurait. Mais tout le monde sait bien que tel n’est pas le cas!

On peut donc se demander pourquoi tant de fausses informations persistent à inonder Internet et certains journaux imprimés. On peut aussi se demander pourquoi on permet à des groupes partisans d’acheter des journaux généralistes qui se transforment aussitôt en bulletins de propagande. Que les partis aient des organes de presse à leurs noms, c’est logique, mais qu’un parti soit propriétaire de titres de presse dits indépendants constitue une déviation honteuse, perverse et cachée des valeurs démocratiques.

Qu’un journal ou un média ait une opinion, quoi de plus naturel, mais à la seule condition que les arguments opposés soient également discutés, comme ici dans les colonnes de l’essor!

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