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Juin 2017
Le bouffon poudré qui n’a pas pris une ride
Auteur : John Vuillaume
Titre complet:

Jean de La Fontaine, le bouffon poudré qui n’a pas pris une ride

Comment bien vivre à la cour du roi Soleil quand on a de l’esprit, de l’instruction, mais une plume aussi acérée qu’élégante? Au-delà des morales scolaires, que reste-t-il d’un grand écrivain qui s’est amusé à vivre en distribuant sous le manteau des écrits «suggestifs» comme on dit aujourd’hui et des pièces plus philosophiques, à la fois plaisantes et cyniques?

Jean de La Fontaine fut courtisan et créateur d’un esprit de flagornerie qui a troqué la pure et simple obséquiosité contre une dose de provocation toute policée qui fait penser au «off» contemporain ou au politiquement incorrect, socialement inoffensif s’il ne se traduit pas par une action politique, une contestation du pouvoir établi où des règles sociales iniques sont en vigueur dans une société qui voit ses élites complètement coupées du peuple.

Jean de La Fontaine n’a rien de subversif, pas plus qu’un Corneille à son époque ou qu’un Balzac deux siècles plus tard. Ils ne désirent en rien changer la société (contrairement au génial Vauban, père du pré carré français et chantre d’une égalité qui n’était que chimère du temps de Louis XIV). Leur soutien à l’ordre établi n’est cependant ni béat, ni inconditionnel. Ils connaissent la nature humaine, les ressorts de toute vie en société avec une organisation sociale qui n’est que le reflet des imperfections, des travers, de l’avidité ou de la démesure des êtres humains. La déconstruction de la psychologie humaine est d’ailleurs extrêmement subtile chez ces auteurs, notamment chez Jean de La Fontaine. Eloignons-nous un peu des vers célèbres de l’écrivain et plongeons-nous dans le reste des fables; nous verrons que la complexité des relations humaines est rendue de manière beaucoup moins accessible que ce que nos souvenirs d’écoliers auraient pu nous le laisser penser.

Flatter le pouvoir en place tout en pointant l’orgueil mal placé ou la vanité de chaque être humain voulant briller en société est un tour de force dont rêvent beaucoup d’artistes. La liberté des auteurs n’est assurée que s’ils sont protégés par leurs succès auprès des décideurs ou par leur popularité dans les masses. Jean de La Fontaine peut se sentir libre parce qu’il a su séduire les puissants de son époque tout en dévoilant les rouages d’un pouvoir absolutiste. Le dévoilement ne constitue aucun danger, au contraire. Le monde peut certes apparaître cruel, inéquitable et cynique. Il n’en demeure pas moins que rien ni personne ne mettent réellement en cause cette réalité peu ragoûtante. Quand l’honnêteté, la moralisation ou l’égalité sont mises en avant dans un discours public, c’est bel et bien le signe que l’application de ces valeurs dans la vie sociale, politique et économique ne va pas de soi.

L’être humain aime se gargariser de bons sentiments. Il les recrache sans états d’âme lorsque ses intérêts égoïstes sont en jeu. Ce comportement hypocrite n’avait aucun secret pour Jean de La Fontaine qui en jouait pour plaire, comme tout homme d’esprit aujourd’hui comme hier.

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