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Décembre 2016
Aimer qui? Aimer quoi?
Auteur : Emilie Salamin-Amar

Le verbe «aimer» est difficile à utiliser en français. On dit «je t'aime» à une femme, tout comme on dit «j'aime le cassoulet». Pourtant, si l'on pose la question suivante à un homme: est-ce que tu préfères le cassoulet à ta femme, il répondra à coup sûr que cela n'a rien à voir, et que bien entendu, il préfère de loin sa femme.

Dans d'autres langues européennes, il y a souvent deux verbes différents pour distinguer la femme du cassoulet. En anglais, il y a «love» (pour la femme) et «like» (pour le cassoulet ou la choucroute). Idem en allemand: «Lieben» (amour, amitié) et «mögen» (choucroute). En espagnol, nous avons «amar» et «querer», la distinction est moins nette, puisqu'on peut dire indifféremment à une femme «te amo» ou «te quiero». En italien, il existe «amare» (amour) et «piacere» (choucroute). On constate donc que dans ces langues, il est plus facile de faire la distinction. Alors, qu'en français, par pudeur, où serait-ce culturel, ou tout simplement une habitude, on rajoute un adverbe pour modifier le sens que l'on veut donner au verbe aimer.

En présence du soleil et des sphères étoilées, on n'a besoin que de s'aimer. Germaine de Staël

À une femme, on dira «je t'aime» ou «je t'aime passionnément», etc… Pour une choucroute, on dira plutôt «j'aime beaucoup la choucroute». A un ami, même précieux, il est rare qu'on lui dise simplement «je t'aime». On dira «je t'aime bien» ou «je t'aime beaucoup» (plus rarement). Étant donné l'unicité du verbe «aimer», et toute la gamme de sens qu'il signifie, moi j'aime bien dire simplement «je t'aime» à ceux que j'aime très fort. Certains y verront peut-être un sens déviationniste, mais je m'en moque!

En Grèce, il n'y a pas encore bien longtemps, les gens utilisaient la formule «me agapi» (avec amour) pour dire l'équivalent de nos «très cordiales salutations». J'imagine la tête de mes correspondants si je m'aventurais à utiliser ce genre de formule de politesse.

Dans de nombreux pays, les hommes s'embrassent entre eux, ou se tiennent la main en marchant, et cela est tout à fait normal. Chez nous, nous suspectons immédiatement le pire, reste à savoir si le fait d'être homosexuel est réellement une situation empirique. Et si oui, pour qui? Dans quel milieu? Dans quelle culture? Et c'est là que l'incompréhension se fait reine, car en réalité on se heurte bien souvent à l'immense fossé de la culture et de l'éducation. Bien souvent, nous pêchons par méconnaissance, par manque d'ouverture d'esprit aux autres, car le monde des uns est bien souvent un autre monde pour nous. Alors, faut-il s'étonner de la difficulté d'aimer de manière unanime, un homme, une femme, une choucroute ou un cassoulet?

© Emilie Salamin-Amar
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