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Octobre 2010
Sortir de l’esclavage pétrolier
Auteur : Pierre Lehmann

Malgré l'explosion de la plateforme de forage dans le golfe du Mexique en avril 2010 et ses conséquences dramatiques pour l'écosystème marin et les bords de mer du sud des Etats-Unis, les compagnies pétrolières veulent continuer à forer des puits au fond des océans à des profondeurs toujours plus grandes. Les dirigeants politiques semblent incapables de s'y opposer, pour autant qu'ils en aient le désir. On peut difficilement trouver évidence plus claire de notre dépendance d'une substance à haute teneur énergétique mais très polluante et dont les réserves sont nécessairement limitées. Notre société est droguée au pétrole et semble prête à accepter n'importe quelle conséquence pour ne pas être en manque, y compris la mise à mal de la biosphère dont elle dépend pourtant absolument.

Lors de l'éruption volcanique en Islande au printemps 2010, éruption qui a projeté de grandes masses de poussières dans l'atmosphère, des milliers de vols ont dû être annulés pour ne pas risquer des catastrophes aériennes. Les vols ont cependant repris dès que possible pour limiter le manque à gagner des compagnies d'aviation. Mais on n'a pas profité pour réfléchir à la nécessité incontournable de réduire progressivement les déplacements aériens. Aujourd'hui, à tout instant, il y a des dizaines de milliers d'avions dans l'atmosphère. Ils y créent une dangereuse pollution en altitude et sont totalement tributaires du pétrole pour fonctionner. L'éruption islandaise aurait pu provoquer une réflexion sur la transition. Mais rien.

Cela ne signifie pas que personne ne pense à la transition vers l'après-pétrole. Des initiatives locales, voire régionales de transition  existent (La Revue Durable No 38, 2010). Elles cherchent à anticiper les conséquences du pic pétrolier et du changement climatique et donc à réduire la dépendance de l'énergie, en particulier du pétrole. Ces initiatives sont à saluer car elles rendent les gens conscients du fait que l'ère du pétrole bon marché et du climat stable tire à sa fin et qu'il va falloir trouver d'autres paradigmes que la croissance et le profit pour gérer le monde (voir aussi: ADER, L'Énergie au Futur, Éditions d'En Bas, 1997).

Car il faut être conscient de ce que la fin du pétrole signifie. Des activités qui génèrent aujourd'hui une part importante du PNB des Etats vont disparaître. Plus d'avions, de camions, de voitures, ou seulement très peu. Fin du tourisme de masse et de l'hôtellerie qui en dépend, réduction drastique des activités de construction et des activités militaires, grosses consommatrices de pétrole. L'agriculture devra se restructurer, les tracteurs et autres machines qu'elle utilise devront être alimentés au biogaz ou remplacés par des chevaux.

Il n'y a en effet pas de substitut crédible au pétrole si la consommation d'énergie reste à son niveau actuel. Le biogaz est probablement l'agent énergétique le plus prometteur pour remplacer les carburants pétroliers dans les moteurs thermiques, mais il est bien incapable d'alimenter tous les moteurs qui tournent aujourd'hui. Les biocarburants (biodiesel, éthanol) entrent en concurrence avec la production de nourriture et ne doivent pas être développés à grande échelle. La voiture électrique restera prisonnière du problème du poids des batteries et de leur recyclage. Quant au transport aérien, il risque bien d'en être réduit à la montgolfière et au zeppelin (l'avion solaire de Bertrand Piccard c'est rigolo mais ça ne résout aucun problème de transport).

Au sol la production de chaleur et d'électricité peut parfaitement être assurée par les énergies renouvelables: force hydraulique, machine à vapeur et chauffage alimenté au bois. Mais il y aura intérêt à devenir modeste et efficace. Aujourd'hui une part très importante de l'énergie produite sert à alimenter des pertes et l'aberration du chauffage électrique direct est encore très répandue. Le potentiel d'économie est à n'en pas douter considérable. Il a été analysé dans divers ouvrages comme en particulier celui de l'ADER cité plus haut. Mentionnons aussi le livre de von Weizsäcker et Lovins: Facteurs 4, deux fois plus de bien-être pour quatre fois moins de gaspillage (Mensuel Terre vivante, 1997).

Il reste que la diminution drastique du transport devrait annoncer un retour à des économies de proximité, à des sociétés de subsistance. La collaboration y sera sûrement plus importante que la compétition et la joie de vivre pourra, espérons-le, se substituer à la course au profit.

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