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Juin 2009 °
Le cauchemar des déchets radioactifs
Auteur : Pierre Lehmann


Il y a en Suisse 5 centrales nucléaires d'une puissance installée totale de 3000 MW environ. Ces centrales produisent annuellement quelque 25'000 GWh (1 GWh = 1 million de kWh) d'électricité. Le processus de fission nucléaire à l'origine de cette production consiste à casser des noyaux d'atomes lourds, essentiellement uranium 235 et plutonium 239, en deux noyaux de poids variables appelés produits de fission, lesquels sont tous radioactifs avec des demi-vies très variables. Ils constituent le gros des déchets des centrales nucléaires qui contiennent en plus des transuraniens également radioactifs. Le danger potentiel représenté par ce mélange d'isotopes radioactifs peut s'exprimer en ALI (Annual Limit of Intake), soit la quantité de cette radioactivité qu'un individu peut absorber en une année sans compromettre définitivement sa santé.

La radioactivité des déchets diminue avec le temps. Ainsi, une heure après l'arrêt d'une centrale, la radioactivité qu'elle contient est de 1,5 x 1011 (150 milliards) d'ALI par tonne d'uranium. Cent ans plus tard, il en reste encore 1,5 milliard. Une centrale nucléaire classique de 1000 MW (Gösgen, Leibstadt) contient de l'ordre de 100 tonnes d'uranium. On voit donc que l'inventaire radioactif des centrales nucléaires est hallucinant. Pour chaque kWh d'électricité produit par le nucléaire, on génère environ 7 ALI de radioactivité à l'échéance de 100 ans. Les centrales nucléaires suisses produisent donc chaque année un inventaire radioactif de quelque 175 milliards d'ALI à l'échéance de 100 ans, de quoi tuer 25'000 fois chaque habitant du pays.

Les déchets radioactifs sont bien entendu confinés et surveillés, même si une énorme quantité a déjà été simplement jetée à la mer. Mais le danger n'en est pas moins présent et il suffit qu'une infime fraction s'échappe pour provoquer des catastrophes. De plus, les centrales et usines de retraitement émettent en permanence de la radioactivité dans l'air et dans l'eau, radioactivité qui va trouver tôt ou tard le chemin de notre assiette (concentration dans les chaînes alimentaires). Elle est déjà la cause de maladies et de malformations.

Le nucléaire n'est pas une énergie comme les autres et implique des dangers nouveaux à des échelles de temps inconnues jusqu'ici. Il est pour le moins étonnant, pour ne pas dire inquiétant, que l'homme dit civilisé ait envisagé de développer cette énergie sous le prétexte fallacieux d'un besoin d'électricité.

La prise en charge des déchets radioactifs est un casse-tête permanent pour les autorités. Comment garantir pour des centaines de milliers d'années la mise en lieu sûr de telles quantités de radioactivité? La géologie de la Suisse ne s'y prête pas (voir: Marcel Burri, «Qu'en  faire?, les déchets radioactifs, un problème non résolu», Editions d'En Bas, 1984). Pour le moment, la meilleure chose à faire est de garder tous les déchets produits par une centrale sur le site même de cette centrale. Une fois que l'on sera sorti du nucléaire, on pourra chercher un site adéquat dans le nord du continent européen. Des propositions ont déjà été faites dans ce sens (voir: «Energie & Umwelt», mars 2006). Il s'agirait d'un dépôt commun pour l'Europe, vraisemblablement en Russie. Mais de faire des projets de dépôt n'a de sens qu'après la sortie du nucléaire, laquelle est inéluctable. C'est alors seulement que l'on saura quelle est la quantité de déchets qu'il faudra isoler de la biosphère pour des durées sans commune mesure avec  les temps historiques.

La construction de centrales nucléaires ne répondait pas à une nécessité. En fait, la demande en électricité a été adaptée à l'offre et non l'inverse. Pour créer la demande, on a fait la promotion du chauffage électrique direct, aberration énergétique s'il en est, et peu sinon rien n'a été fait pour diminuer les pertes qui représentent tout de même environ le 30% de la consommation. Pour augmenter la consommation, on offrait même un tarif plus bas à qui renonçait à tout chauffage complémentaire à bois, solaire ou autre pour les locaux et l'eau chaude.

Rappelons pour finir qu'un pays disposant de centrales nucléaires sur son territoire n'est plus en mesure de faire la guerre. L'énergie nucléaire et, d'une manière générale, l'ensemble des dangers potentiels créés par l'industrialisation, rendent suicidaires toute guerre nucléaire ou conventionnelle.

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