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Avril 2009 °
Une approche basée sur l'adaptation permanente
Auteur : Brigadier Michel Chabloz et capitaine Pierre Aubry


Parler aujourd'hui de défense nationale, c'est parler de défense des intérêts nationaux. La dimension strictement militaire territoriale est désuète et a laissé la place à une vision globale intégrant les évolutions et les changements politiques, économiques et sociaux des cinquante dernières années.

Depuis le XIIIe siècle, le concept de défense nationale suisse n'a cessé d'évoluer. D'alliances défensives cantonales aux origines, il s'est enrichi des soubresauts de l'histoire pour devenir centralisé au début du XIXe siècle. En 1848, le but premier de la Constitution étant le maintien de l'indépendance envers l'étranger, la tranquillité et l'ordre à l'intérieur, la défense nationale est devenue une tâche centrale de la Confédération. Reconnue comme Etat neutre au Congrès de Vienne en 1815, la Suisse s'est dès lors attelée à défendre son territoire national en marge des affrontements internationaux. Essentiellement militaire, cette conception s'est enrichie des expériences de l'entre-deux guerres en y intégrant les dimensions économique et sociale. On parlait alors de «défense totale».

La période de guerre froide (1945-1989) fut caractérisée par l'évolution du concept de défense nationale vers une approche plus globale de sécurité nationale avec la participation de moyens civils: protection civile, protection de l'Etat et approvisionnement économique, mais l'idée centrale restait néanmoins la défense territoriale du pays. Ce n'est que tardivement (fin du XXe siècle) que la Suisse a pris conscience de l'évolution de cette vision traditionnelle vers une conception basée sur les notions de stabilité et de coopération internationales où la défense des intérêts nationaux a supplanté la stricte défense nationale, y compris dans le domaine de la sécurité.

En matière de sécurité, la distinction entre politique intérieure et extérieure n'a plus lieu d'être. Les rôles si clairement identifiables encore au temps de la Guerre froide sont désormais plus flous. Où situer la frontière entre l'une et l'autre par exemple en matière de terrorisme, de flux migratoires, de cyberespace ou d'approvisionnement énergétique. La notion strictement territoriale est vide de sens, c'est pourquoi l'approche doit être globale, interdisciplinaire, holistique. L'armée est un des instruments de ce qu'on appelle la politique de sécurité et ses missions s'inscrivent dans un cadre général où plusieurs acteurs interagissent.

Cette évolution se traduit dans les faits par une adaptation constante de ses instruments de sécurité. D'un point de vue militaire, l'urbanisation croissante, la diversité des menaces et les changements incessants de situation dans le temps obligent l'armée et plus particulièrement l'infanterie à s'adapter sans cesse à son environnement. Aujourd'hui, l'infanterie, ses soldats, ses cadres doivent être capable de tout faire et dans toutes les situations. L'infanterie doit maîtriser aussi bien les actions de basse que de haute intensité. Et dans cette optique, elle doit être modulaire, proportionnelle, polyvalente et surtout maintenir son savoir-faire pour le combat contre un adversaire conventionnel.

Pour atteindre ces objectifs ambitieux, le soldat et les cadres doivent développer une véritable culture militaire non seulement basée sur une capacité d'action, le savoir-faire, mais surtout sur une capacité d'être et de penser, le savoir-être. Le savoir-être, c'est l'apprentissage du courage, de la volonté d'aboutir, voire de l'abnégation, du sens du bien commun, du respect de la mission, de la responsabilité individuelle et donc du respect: respect du camarade, du supérieur, du subordonné, du vis-à-vis. Le savoir-être, c'est donc non seulement le respect de règles d'engagement, mais aussi l'apprentissage de comportements et d'aptitudes qui permettent à un soldat de remplir des missions toujours plus délicates et de faire face, en toutes circonstances, aux réalités des engagements.

Finalement, ce savoir-être permet de gagner les cœurs et les esprits. Les soldats suscitent naturellement l'hostilité des populations locales et, à la moindre occasion, au moindre écart de comportement, ils peuvent devenir les cibles de tous les fauteurs de troubles. Or, pour mener à bien leur mission de paix, ils ont besoin d'établir des relations de confiance avec tous ceux qui les entourent et surtout ils doivent respecter la culture et certaines règles propres au milieu local, à un quartier parfois. Il est donc nécessaire que nos soldats puissent, en toutes circonstances, adopter la bonne ligne de conduite et conserver la maîtrise des situations, aussi tendues soient-elles, pour avoir les meilleures chances de succès. Ceci vaut en particulier pour les cadres au front dont le rôle est capital à la fois vis-à-vis de leurs hommes et vis-à-vis des populations qui les entourent. Il n'est pas facile de garder son calme face aux injures, aux gestes déplacés, aux mille et une provocations faites pour alimenter une caméra toujours prête à diffuser une réaction démesurée qui viendra discréditer l'action!

La crédibilité de notre armée, de l'infanterie, du soldat dans leur contribution à la défense des intérêts nationaux passe par une approche basée sur l'adaptation permanente à l'environnement et aux menaces et par le maintien d'une culture militaire solide dont les fondations reposent sur le savoir-être des soldats et des cadres.



L'objet de la guerre, c'est la paix.
Aristote

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