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J’ai été enseignante vaudoise pendant 27 ans et j’ai adoré mon métier, jusqu’au moment où je me suis sentie en porte-à-faux face au système de sélection que nous devions appliquer. J’étais maîtresse de 6e et 7e terminale. Pour toutes celles et ceux qui n’ont pas connu le système vaudois des années 80-90, cela signifie que j’héritais d’élèves qui, après une 5e année de stress causé par les nombreux tests de sélection souvent mal réussis, arrivaient en terminale avec un fort sentiment d’échec: ils n’iraient donc pas en pré-gymnasiale, ni même en supérieure… Ils avaient déçus leurs parents, ils se sentaient nuls, le disaient clairement et se réfugiaient derrière ce constat en baissant les bras: à quoi bon faire des efforts? Douze ans à peine et si pleins de mépris pour eux-mêmes!
Pour moi, l’urgence quasi médicale était de leur redonner confiance en eux. Pour tenter d’y parvenir, je ne suivais pas toujours le programme et passais de grands moments à parler avec eux. Education ou instruction? Dans l’emploi du temps, l’une se faisait parfois au détriment de l’autre. J’avais suivi avec un vif intérêt une formation en «gestion mentale», formule peu élégante pour parler d’apprendre à apprendre, en tenant compte des différents types de fonctionnement cérébral, auditif ou visuel en particulier. J’appliquais la méthode qui apportait de très bons résultats: les élèves qui voulaient bien suivre la démarche réussissaient leurs tests et reprenaient subitement confiance. Corollaire: ils espéraient tout de suite pouvoir «monter en sup’».
Or, pour certains, je savais bien que ce n’était pas possible: ils n’auraient pas pu suivre un enseignement plus rapide, comportant deux langues étrangères simultanément. Mais le système était tel que, si la moyenne le permettait, ils avaient droit à cette promotion. Il fallait donc que je fasse des tests trop difficiles pour être réussis, afin de ne pas leur donner de faux espoirs. Quel dilemme! J’en suis tombée malade et ai dû quitter prématurément mes fonctions avec beaucoup de tristesse et un sentiment d’échec.
Je crois que l’enseignement ne doit pas opposer éducation et instruction, les deux se soutenant l’une l’autre. L’enfant n’est pas qu’une tête à remplir, mais un être à développer dans toutes ses potentialités. Il est aussi important de lui enseigner le respect de la vie, sous toutes ses formes, que de lui apprendre à compter et à lire. Aussi essentiel d’éduquer son sens artistique, de lui faire, par exemple, découvrir de grands peintres en visitant de manière attrayante des expositions, que de lui enseigner la connaissance de l’histoire ou de la géographie.
Mais le vrai problème de l’enseignement est lié au système économique qui demande toujours plus: il faut être le meilleur, le plus rapide, le plus fort, appliquer la devise des Jeux Olympiques. Pas de place pour la faille. On demande à l’élève une attention de chaque instant, il doit écouter, comprendre, emmagasiner très rapidement. Chaque professeur arrive tout frais dans la classe, convaincu que la matière qu’il enseigne est la plus importante. L’enfant doit pouvoir s’adapter immédiatement à une autre façon d’enseigner, qui ne lui correspond pas toujours: il est peut-être de type visuel, ayant besoin de schémas pour comprendre, alors que ce maître est un auditif qui raconte des histoires sans rien écrire au tableau (c’était mon cas). L’enfant ne sait pas à quoi se raccrocher et… décroche! On lui reproche alors son manque d’attention, et il ne sait même pas pourquoi il ne peut pas suivre. Il pense qu’il n’aime pas cette branche, ou qu’il est nul dans ce domaine. J’aimerais que la formation des maîtres accorde une plus grande part à cette méthode de gestion mentale, qui nous apprend à enseigner en tenant compte des différents types cérébraux pour le plus grand profit des élèves.
Et surtout, je rêve d’un système scolaire non compétitif et non réducteur, dans lequel les différences et les particularités individuelles seraient une richesse et non une aspérité à gommer ou une tare à supprimer. Un système où instruction et éducation aux valeurs humaines auraient part égales. Une autre échelle de valeurs pour notre monde, en somme! Utopie? Peut-être, mais c’est sur les utopies que les changements de société se construisent.