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Août 2006
Le spectacle d’une création continue et harmonieuse
Auteur : Pierre Lehmann

Qu’est-ce que la créativité? La question n’est pas simple parce que l’homme ne crée en fait rien. Il transforme, gère, déplace, voire même détruit ce qu’il y a. La création est le fait du cosmos et de la vie – une sorte d’au-delà – qui a, en particulier, produit l’être humain. Celui-ci peut bien entendu utiliser ce qui existe, faire des tableaux, écrire des romans ou de la musique, fabriquer des objets. C’est en quelque sorte un deuxième étage de la création, mais il est subordonné au premier. Et peut-être y a-t-il quelques fois une influence directe du premier sur le second.

Comment font des génies comme J.-S. Bach ou W.-A. Mozart pour écrire leur musique, et comment fait un interprète pour jouer par coeur? On a l’impression que ces artistes sont en fait des instruments conduits par une force qui les dirige mais dont ils peuvent contrôler l’intervention. Les sons que les compositeurs transcrivent en notes préexistent-ils dans une autre sphère? L’interprète qui traduit les notes en sons semble le faire de manière quasi instinctive, sans avoir à réfléchir, comme si ses doigts étaient guidés directement par la musique qu’il a en lui. Des processus similaires se déroulent par exemple quand on récite une poésie qu’on a apprise par coeur. Les mots se suivent comme si la poésie commandait notre parole presque indépendamment de notre volonté. Tout cela est très mystérieux. Mon impression est que l’être humain est d’une certaine manière et dans certaines circonstances un instrument au service d’un metteur en scène invisible.

On ne crée peut-être pas seulement par la volonté, mais aussi en se mettant à l’écoute. Bien des créateurs semblent obéir à une voix intérieure qui leur demande de faire ce qu’ils font. D’un autre côté, des scientifiques cherchent à comprendre le monde et font des découvertes. Pour eux, la créativité c’est de trouver une explication – si possible rationnelle – aux phénomènes observés.

Un bon exemple est la théorie de la relativité générale d’Einstein qui relie le mouvement des astres à une sorte d’harmonie mathématique. Mais même dans ce domaine on peut se demander où se trouve la créativité. Wolfgang Pauli – un des grands physiciens du 20e siècle – considérait que la joie qu’éprouve l’être humain lorsqu’il atteint à une compréhension nouvelle serait due à un recouvrement d’images préexistantes dans la psyché humaine avec des observations faites dans le monde réel. On retrouve là aussi une relation avec un monde transcendant qui échappe à nos sens. Comme disait David Bohm – autre physicien important du 20e siècle – le cosmos ce n’est pas que de la matière qui se déplace pour satisfaire des équations. Et il reste passablement de phénomènes qui sont difficiles à mettre en équations.

Par exemple l’existence d’un inconscient collectif, établi par C.-G. Jung, qui se révèle par des images archétypes présentes dans l’inconscient de tous les humains. En collaboration avec Pauli (qu’il avait aidé à sortir d’une dépression), Le spectacle d’une création continue et harmonieuse f o r u m : Créativité et science il a élaboré le concept de synchronicité qui ajoute aux relations causales une relation par le sens, cette relation ne devenant perceptible, voire évidente, que si les événements sont presque simultanés. De son côté, le biologiste Rupert Sheldrake a postulé l’existence de champs morphogénétiques agissant à travers le temps et l’espace et qui, selon lui, seraient à l’origine de la forme des êtres vivants, laquelle ne serait alors pas contenue dans les gènes. Cette hypothèse l’amène à affirmer que notre mémoire n’est pas «contenue» dans notre cerveau, ce dernier n’étant «que» l’organe qui permet de faire entrer et sortir des informations d’un registre situé quelque part dans l’espace-temps ou, si l’on veut, dans l’au-delà.

Ces propositions, et probablement d’autres encore, élargissent la notion de créativité et la font voir comme une propriété d’ensemble de l’humanité en relation avec le cosmos. Dans cette perspective, les génies comme Bach ou Mozart apparaissent comme des «canaux» de liaison avec un monde transcendant auquel la plupart des gens n’ont pas d’accès direct. Sheldrake, quant à lui, parle de résonance morphique lorsqu’un être vivant commence le développement qui lui donnera la forme voulue par le champ morphogénétique qui lui est propre. Les êtres vivants seraient donc eux-mêmes la conséquence d’une liaison avec un monde qui nous échappe (les champs morphogénétiques ne sont pas dissipatifs et ne peuvent donc pas être détectés par des instruments de mesure).

La vie sur terre nous offre le spectacle d’une création continue et harmonieuse. La créativité humaine en est, au moins en partie, le reflet.

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