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Août 2006
L’art purifie le désir
Auteur : Henri Guérin

Peintre-verrier, j’ai le privilège de posséder un métier qui canalise l’inspiration, la purifie et l’ordonne, par ce respect des contraintes que l’architecture impose à tout intervenant. Je deviens serviteur d’un lieu par l’intégration de mes vitraux au monument qu’il soit ancien ou moderne, par l’observation des paramètres de la lumière issue des ouvertures, se répandant dans le volume intérieur. Lumière réfléchie sur les surfaces d’accueil, par la disposition des baies et leurs dimensions, dans la plus juste économie de moyens.

En ce monde brutal et dangereux, incertain parce que sans cesse en transformation, dépossédé par un temps fragmenté, d’un passé ignoré en un futur inconcevable, le présent semble dépossédé d’une présence. Aussi toute oeuvre tentant d’établir des signes d’harmonie apporte au monde ce ralentissement du temps par un minimum de paix qu’une pensée réelle établit entre les hommes. Cette vie réelle aussi que tous cherchent consciemment ou inconsciemment. «Beauté, je te cherchais », disait saint Augustin alors qu’elle résidait cachée en lui. Toute sa vie changea quand il la découvrit.

L’art en tout domaine autonomise le jugement, il rend souverainement libre. Contempler fait ainsi percevoir ce qu’un autre être a créé à travers temps et lieux, au-delà de la mort, lien suscitant ce même désir de pénétrer les mystères poétiques du monde. Il éclairera en chacun le bonheur comme le malheur profond d’exister. Par ce partage, il peut s’enrichir d’une humanité plus vraie, par cette mansuétude qui fait mieux comprendre une fraternité difficile, située toujours entre le semblable et l’étrange.

L’art purifie le désir, le met à distance, quand il n’entraîne pas vers ce voile encore infranchissable d’un destin sourdement désiré; ah, ne pas mourir, vivre en espérance! Tout art véritable est porteur de cette incertitude, même quand la foi, par la liturgie fait pénétrer par effraction l’inimaginable monde invisible, que toute lumière visible préfigure, porté par la beauté fugace d’un ciel, des arbres et de l’eau et que les artistes ont toujours cherché à capturer par leurs propres moyens pour le donner à voir.

L’art moderne a appris quelque chose aux artistes par rapport au passé de l’art: il se sait plus fragile, plus semblable à ses frères. Il est devenu une sorte de mendiant de la beauté, car il sait qu’il ne la possède pas. Il la cherche toujours et ne se console pas qu’elle s’enfouisse au plus profond, qu’elle réside cachée comme la vérité au fond du puits, dans le ciel lointain tout au fond, toujours lui.

L’art n’est pas fait de concepts qu’on aurait à illustrer. Ce sont d’abord des actes en vérité, ils parlent par eux-mêmes un langage spécifique d’un silence de formes et de couleurs, dans une tension rythmique, organique, harmonique «en un certain ordre assemblé». Equilibre mystérieux, si bien que je peux affirmer que lorsque l’oeuvre semble sonner juste, le meilleur a échappé à son auteur. L’inspiration lui a été donnée conduite par une main sous un oeil étonné de ce qu’il voyait naître. L‘oeuvre née demeure pour s’éloigner de l’auteur, se confier à d’autres, livrée comme «un pli fermé que d’autres décachèteront» pour y lire des choses qui lui avaient échappé (Rilke, dans Lettres à un jeune poète).

Cet échange, ce partage, vous semblera- t-il suffisant pour rendre ce monde habitable comme vous le demandez naïvement? Espérons que l’oeuvre vivante, à notre insu, peut y répondre, sans le vouloir expressément car les bonnes intentions font rarement les bonnes oeuvres. Car, il se fait au moment de créer un certain silence fécond de l’esprit qui fait corps et âme avec l’oeil guidant la main souveraine. Si l’oeuvre vit en autonomie, elle sera capable de communiquer le vrai langage de l’Esprit.

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