Logo Journal L'Essor
2024 2023 2022 2021 2020 2019 2018
2017 2016 2015 2014 2013 2012 2011
2010 2009 2008 2007 2006 + 100 ans d'archives !
Rechercher un seul mot dans les articles :
Article suivant Numéro suivant
Numéro précédent Article précédent   index de ce numéro

Octobre 2019
Un mot peut en cacher un autre
Auteur : Emilie Salamin-Amar

Certains pratiquent l’art de la tromperie sophistiquée qui en son temps avait forcé Socrate, suivi de Platon, à approfondir, décortiquer les processus du discours entre les êtres humains. Nous vivons actuellement sous le règne de la ruse verbale, de la manipulation du langage. Un véritable hold-up sur les cerveaux. Afin de résister contre ces manigances mortifères, il convient de se poser quelques questions essentielles en prenant quelques exemples.

Mais, tout d’abord, quel rapport y a-t-il entre le mot et la réalité? Le mot, et sa signification première? Les mots sont-ils représentatifs des choses ou ne correspondent-ils à rien en dehors des sons ou l’intonation de la voix de celle ou de celui qui les dit? Et lorsque ces mots-menteurs, trompeurs, sont écrits, qui peut savoir dans quel sens le lecteur doit les interpréter? Puis-je décider du sens des mots? Non, évidemment. Alors qui peut s’approprier et détourner le sens initial d’un mot? Y a-t-il une signification naturelle du ou des sens d’un mot? Comme référence, nous avons des dictionnaires, et pour ce qui est du français, l’Académie Française veille au grain. Mais, cela n’empêche pas les nombreux dérapages que l’on peut observer en écoutant la radio, en lisant les journaux ou tout simplement en prêtant une oreille attentive à ce qui se dit au café du commerce.

Pour commencer, je prendrais le mot «parabole». Autrefois, ce mot-là était utilisé lorsque l’on parlait d’un récit allégorique comportant un enseignement religieux ou moral, telle que la parabole du bon Samaritain dans les Evangiles. Il y a un autre sens, en mathématiques, il s’agit d’une courbe plane constituant le lieu géométrique des points équidistants d’un point fixe et d’une droite fixe. Comprendra qui pourra! Et, j’arrive enfin à ce nouveau sens que les services de télécommunications utilisent depuis quelques années pour désigner une antenne parabolique. Amusant, lorsque l’on sait que certaines antennes des télécommunications sont logées dans le clocher des églises.

La confusion induite sur le sens des mots a des effets dans nos jugements et donc, nos raisonnements. Dans ce cas de figure, cité ci-dessus, on ne peut que relever que la méprise est totale. Je confie aux réseaux sociaux tout ce que je confiais à Dieu, même ma vie privée, intime. Le sens des mots n’est plus évident d’emblée, par le brouillage engendré par des commentaires complexes, et répétitifs que l’on entend à la radio, dans la rue ou que l'on peut lire dans les journaux, sans oublier la publicité et nos hommes politiques. On empêche les personnes d’exercer leur capacité de jugement et donc d’engagement libre de la pensée. On suit tout bêtement un phénomène de mode sans trop réfléchir au sens des mots, de leur signification et encore moins du besoin d’être compris.

Il en est ainsi pour le mot «âgisme», comme si le mot «vieux» était un gros mot! Sans parler de «performer» qui en français ne veut rien dire. Un des derniers nés, c’est le verbe «matcher» que l’on conjugue à tout va. Et «supporter» dans le sens, soutenir. Le mot «ami» perd toute sa substance sur les «réseaux sociaux» comme on dit, alors qu’ils ne sont que virtuels. Et la cerise sur le gâteau, c’est le mot «durable» qui est employé à tort et à travers. Cela correspond à combien de temps au juste? Plus longtemps que la bêtise humaine? Car le problème que pose la manipulation du langage ainsi que la répétition de certains mots ou informations induit de fausses convictions: les personnes croient juger par elles-mêmes le sens du mot, ou de la phrase, mais en réalité il ne s’agit pas de connaissance mais de «re-connaissances» des slogans répétés par ce qu’on appelle les autorités intellectuelles. Et comme on considère comme sien ce qui émane de nous, l’influence extérieure passe totalement inaperçue.

Initier à la langue de bois de simples citoyens est un outrage à la nature humaine. Pire, lorsque l’on sait que c’est pour mieux nous contrôler afin de produire certains comportements sans plus aucun dialogue rationnel. Créer la confusion. On pourrait dire que ces pratiques de manipulation du langage ne sont pas si anodines que cela. Bien au contraire, elles participent à la déstructuration et à l’asservissement des cerveaux.

Emilie Salamin-Amar

Espace Rédaction    intranet
©Journal L'Essor 1905—2024   |   Toute reproduction, même partielle, interdite.     Corrections ?