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Août 2018
Ni développement, ni décroissance!
Auteur : François Iselin
Cessons d'ignorer ce qui se passe sous nos yeux: une révolution est en train de s'opérer, elle prône le retour à la valeur d'usage, le développement des énergies renouvelables, la fécondité naturelle des terres et des océans, la fin du travail servile et le règne de l'inventivité.
–Raul Vaneigem, Pour l'abolition de la société marchande,
Pour une société vivante
, Payot, Paris, 2004

Quel développement? Pour qui?

Le développement qui jadis avait été convenu sous le nom d'aide au «tiers-monde», soit, aux populations appauvries dites «sous-développées», a fait long feu. Le chacun pour soi prôné par le néolibéralisme a étouffé la volonté des États de répartir équitablement les ressources et richesses communes entre tous. Même la Suisse opulente a réduit son aide (Tribune de Genève, 2.6.2016) malgré la détresse migratoire résultant du développement inégal.

Les inégalités face au partage du bien commun sont plus criantes que jamais: 82% des richesses créées dans le monde sont allées au 1% des plus riches (Le Courrier, citant l'Oxfam, 16.5.18). Les fortunes privées se sont accrues de façon spectaculaire: dans le monde, le 10% des mieux lotis détient 88% de la fortune totale dont le 1% des plus riches en possède la moitié. La Suisse quant à elle héberge 2% des millionnaires de la planète, la fortune moyenne y est la plus élevée au monde et depuis le siècle dernier, les Suisses n'ont connu aucune réduction des inégalités (Le Temps 14.11.2017).

Cette concentration de la richesse est dramatique, non seulement parce que son accaparement par quelques-uns – ces «éternels insatisfaits» – se fait au détriment d'une gestion démocratique des besoins du grand nombre, mais surtout parce qu'ils ne privilégient que l'accumulation de leurs fortunes au détriment d'investissements susceptibles de financer de quoi sauver la planète d'une faillite annoncée.

Les détenteurs des moyens de production et leurs actionnaires cupides bafouent sciemment leurs engagements à vouloir ménager la planète en poursuivant leurs investissements dans des secteurs productifs qui leur sont les plus rentables comme l'extraction intensive de matières premières nuisibles à l'environnement et au climat qui devrait impérativement décroître.

C'est ce productivisme marchand, aveugle et délétère, qu'il faut abolir. Mais il est naïf d'espérer que les détenteurs du pouvoir et des richesses mondiales veuillent spontanément réduire leurs profits alors que leur seul objectif est de les accroître.

Décroissance: la grande (dés)illusion

Quant à la décroissance, soyons sérieux: à part les fortunes privées, les inégalités, la destruction de l'environnement et l'augmentation incessante des émissions de gaz à effet de serre, rien n'a décru depuis 1972, lorsque le terme de décroissance était lancé en 1972. C'était le Rapport Meadows «Halte à la croissance?» suivi depuis par les brillantes analyses de Nicholas Georgescu Roegen, André Gorz, Théodore Monod, Edgard Morin, Barry Commoner, Albert Jacquard et de tant d'autres authentiques «avertisseurs d'incendie».

Depuis, des slogans simplistes ont émergé: «Halte à la croissance!», «Demain la décroissance!», «Fin du développement!», «Economie soutenable!», «Développement durable!», «Décroissance ou barbarie !», «Simplicité volontaire!», «Objection de croissance!»… Même le pape François s'y est mis dans son Laudato Si. Mais concrètement rien n'a changé si ce n'est que le marché, «le plus grand séducteur du monde», a récupéré ces idées généreuses en affublant sa publicité d’«Eco», «Bio», «durable» pour accroître ses ventes.

Pas le moindre signe de décroissance non plus, malgré les alertes à répétition du Groupe d'experts intergouvernementaux sur l'évolution du climat (GIEC), des conférences mondiales et de leurs résolutions non tenues. Alors que nous comptions au début de ce siècle sur une pénurie salutaire de combustibles fossiles pouvant réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES), voilà que le pic annoncé il y a 20 ans est renvoyé à 2040 suite au retour en force du charbon, de l'huile et gaz de schiste et du gaz naturel. Les énergies fossiles ont atteint le 81% de la consommation mondiale d'énergie et leur exploitation est en progression. Cela a eu comme conséquence l'accroissement des émissions de GES dès 2017, après trois années de stagnation (Le Monde, 13.11.2017). Les accords de Paris sont sous l'eau, comme l'a été Paris en 2017, et Lausanne le 11 juin 2018 en pleine tempête tropicale alors que j'écris cet article! Les cinq printemps les plus chauds en Suisse, depuis le début des mesures, l'ont été après l'an 2000 et sur terre, 2016 aura été l'année la plus chaude depuis 1880.

Décroissance? Nenni! Par contre, ce qui a émergé au cours des dernières décennies – surtout dans la jeunesse –, c’est une conscience collective de la gravité des méfaits du productivisme capitaliste. Une conscience qui s'est concrétisée par des résistances spontanées contre les choix productifs du système, par la multiplication d'initiatives de production alternative et le boycott de celle qui nous est imposée. De plus, des projets aberrants (barrage de Sivens, aéroport de Notre-Dame des Landes, déchets radioactifs à Bure et tant d'autres dans le monde) sont combattus par les populations lésées. Bien que les Etats les répriment, faute d'arguments et de légitimité, il finissent par admettre la pertinence de cette volonté d'en changer à tout prix. Ces résistances salutaires émanent d'une fraction de l'humanité qui a choisi de penser, dénoncer, créer, s'engager et partager pour bloquer la fuite en avant d'un système de domination devenu aberrant! «Une révolution est en train de s'opérer», comme l'annonçait Vaneigem.

François Iselin

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