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Avril 2018
Réseaux sociaux ou spécieux? Ces insupportables portables
Auteur : François Iselin

«Le modèle consumériste, associé au capitalisme prédateur et synonyme de gaspillage, ne séduit plus. En témoigne la percée de la 'consommation minimaliste' apparue dans les années 2010, qui consiste à n'acheter que le strict nécessaire. Et cette lassitude touche aussi l'univers numérique». (Ignacio Ramonet 1).

Le téléphone portable est un signe extérieur de détresse.
– Pascal Sevran

Un certain ras-le-bol se fait jour. Agacement d'être constamment interrompu lors d'une conversation captivante entre convives par des accros de leurs insupportables portables. Gêne dans les transports publics par le vacarme de sonneries et les bavardages indiscrets. Inquiétude de voir des bambins collés à leur smartphone à qui l'on n'ose adresser la parole de crainte de les déranger… Cet outil, commercialisé dès 1983, prétendument favorable à la convivialité des réseaux sociaux, est certes utile en cas d'urgence, mais son abus est en train de violer l'identité, la privacité et l'intimité même de millions de personnes dans le monde.

Cette dérive est inquiétante! Outre les ravages mentaux et sociaux que ces connexions numériques occasionnent –les statistiques sont là pour le confirmer–, les conséquences pour l'environnement ne sont pas moins alarmantes. Voyons ce qu'il en est:

Comment en est-on arrivé là?

La production de marchandises destinées à la vente a augmenté de façon exponentielle. Les consommateurs en sont saturés et le marché ne sait plus quoi leur vendre pour gagner davantage. Après avoir démultiplié ses offres dans le domaine des transports, des loisirs, de l'habillement ou de l'ameublement, il ne lui restait qu'une niche commerciale encore inexploitée: le «marché du temps libre», soit mettre à disposition du plus grand nombre un service utilisable en tout temps et en tous lieux: la communication numérique. Elle correspondait certes, à un souhait: pouvoir atteindre quiconque partout, à tout instant.

Mais cette facilité a pris des proportions insoupçonnées: on se connecte pour un oui ou pour un non. Les travailleurs et employés sont constamment harcelés par des appels à l'ordre. Le marché a ainsi trouvé comment faire consommer et dépenser les gens en permanence, et accumuler ainsi des profits en continu, ce qui rapporte des milliards à ses promoteurs.

Le marché du temps libre a maintenant l'humanité entière comme client d'un commerce qu'il enrichit à plein temps. Toutes les catégories de la population y sont fidélisées. Des retraités aux chômeurs, des fonctionnaires et des étudiants, tous, consciemment ou non, soutiennent ce business sans se soucier des conséquences. Tous sont devenus accros de leurs portables. S'ils sont perdus, s'ennuient ou se sentent délaissés ou stressés, ils appellent à l'aide un correspondant virtuel qui ne pourra rien pour eux.

Peu leur importe le coût écologique exorbitant d'un pareil engouement, ils feignent de l'ignorer comme de toutes autres marchandises dévoreuses de ressources onéreuses et rares qui, une fois consommées, encombrent les décharges, et qui avilissent les travailleurs exploités qui les produisent.

La télévision est devenue le plus grand prédateur de tous les problèmes humains.
– Pedro Almodovar

Les ravages du changement climatique, l'impasse de la destruction des ressources vitales commencent pourtant à inquiéter des collectifs de personnes sensées. Ce sont ces minorités audacieuses qui ont décidé de se débarrasser du superflu. Elles comptent aujourd'hui des milliers d'adeptes dans le monde. Il ne s'agit pas pour eux d'en revenir aux lettres manuscrites pour communiquer, mais de prendre conscience que les heures perdues à blablater, envoyer courriels, selfies à l'appui, tous azimuts seraient plus utiles si elles étaient mises au profit de réflexions sereines et conviviales.

Cette volonté de vivre une «austérité zen» n'a rien de rétrograde ni de frustrant, car elle vise à se débarrasser du temps perdu, ou plutôt du temps volé par le marché dont nous sommes plus que jamais devenus les otages. Acheter le strict nécessaire et bazarder le superflu, «déconsommer» en quelque sorte, pour pouvoir vivre pleinement et raisonnablement, voilà ce que préconisent les tenants d'une désintoxication prometteuse.


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