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Décembre 2016
L’oubli pour doctrine!
Auteur : Marc Gabriel

Notre société occidentale se sent menacée. Est-ce une raison pour oublier que l’immigration n’est pas le premier choix des candidats à l’exil? Il faudra ajouter aux tristes politiques du moment, les réalités climatiques qui, à elles seules, fourniront l’essentiel des flux migratoires dans un proche avenir. Alors même que, dès l’apparition de l’homme sur terre, les migrations ne se sont jamais interrompues et il y a fort à parier qu’elles ne s’interrompront jamais. Quelles qu’en soient les raisons, les migrations caractérisent la véritable condition humaine, un peu comme le rire est le propre de l’homme (mais ça, c’est de moins en moins vrai). Or que voyons-nous, l’émergence – qui couve depuis quelques décennies sous le feu de la mondialisation économique – de mouvements nationalistes rétrogrades dont le seul but est d’amasser les profits financiers égoïstes engendrés par la doctrine néolibérale qui tire à boulets rouges sur tout ce qui pourrait s’apparenter, de près ou de loin, à la solidarité, au partage, bref à ces notions qui faisaient jadis l’objet des valeurs transmises par nos parents et nos éducateurs.

Sens de la migration inversé?

Supposons un instant qu’au lieu du réchauffement climatique qui va provoquer une vaste migration du sud vers le 45e parallèle nord, ce soit l’inverse qui se produise; une période de glaciation, un refroidissement climatique. Le sens de la migration serait inversé et nous serions les migrants. Franchement, voudriez-vous être traités comme nous les traitons? Voudriez-vous être parqués dans un baraquement à la merci de quelques crétins qui y bouteraient le feu, voire le ferait exploser au nom du: «On veut pas de ça chez nous»? Quelle torsion du regard, que nous proclamons pourtant chrétien, peut soutenir une telle attitude? Quelle perversion de l’âme peut aboutir à de tels raisonnements? Quel détournement de l’éducation avons-nous laissé s’installer pour que de telles inepties existent?

Le pire dans tout ça, c’est que nous allons volontiers en vacances dans les Tristes tropiques, mais qu’eux, les indigènes bronzés viennent chez nous, alors là, pas question! C’est lamentable, honteux et indigne de nous. Ne valons-nous pas mieux que ça? Ne sommes nous pas dépositaires d’un minimum de raison? Les peuplades dites sauvages de l’Amazonie par exemple nous voient agir et savez-vous ce qu’elles pensent de nous? Non bien sûr. Après les avoir joyeusement massacrées, après les avoir honteusement exploitées (ce que nous continuons à faire), après avoir persécuté leurs populations au prétexte qu’ils ne sont pas vraiment humains et encore moins chrétiens… Il est douteux qu’ils aient envie de venir chez-nous, sauf à y être contraints et forcés. Nous leurs devons les métaux rares avec lesquels nous fabriquons nos précieux ordinateurs de poche que sont devenus nos téléphones, et bien d’autres produits de la nature que nous n’hésitons pas à piller pour notre confort. Au moins pourrions-nous avoir la décence de les accueillir un peu mieux et se comporter en humains civilisés1? Au lieu de cela, nous leur reprochons de venir «chez nous» pour des raisons «économiques». C’est vrai que pour bénéficier de notre hospitalité, il faut au minimum être un réfugié, qui si possible aura été torturé (avec attestation dûment certifiée), tout perdu y compris des êtres chers, à cause de guerres et de conflits que notre civilisation a engendrés… Mais nous mêmes, si patriotiques et si fiers de notre belle Suisse, n’avons-nous pas hésité à émigrer en nombre quand ici il faisait faim? L’oubli tient lieu de nouvelle pensée sociopolitique.

Les «hommes-marchandises»

Pour revenir sur les peuplades dites primitives, ils nous appellent les «hommes-marchandises», tant nous leur paraissons préoccupés par notre pognon et nos biens matériels. Avons-nous franchement envie d’être perçus comme des hommes-marchandises? ou préférerions-nous être perçus comme des êtres humains? Je ne veux culpabiliser personne, sauf ceux qui tiennent le discours imbécile de notre droite politique, prête à vendre «notre» âme pour plus de profit. Perdre de l’humanité au prétexte de devenir plus riches constitue une ineptie et une faute, qui ne nous seront pas pardonnées. Il faut être aveugle pour ne pas voir que l’humanité est en danger grave de déshumanisation. Aimer l’autre n’est pas un devoir, c’est une nécessité! Le monde ne survivra pas à la déshumanisation que nous avons initiée. Les peuples européens oublient qu’ils étaient pendant plus de 20 siècles des «sauvages» qui se sont battus entre eux pour des bêtises incommensurables. 55 millions de morts pendant la dernière «mondiale», record battu et bien battu. Au nom de quoi? D’une vision monolithique de la race supérieure! D’une soif de pouvoir et d’argent inextinguible. La guerre, le viol des femmes, le meurtre d’enfants et de vieillards, le pillage et l’exploitation pour seule perspective de l’humaine condition? Non merci! D’autres valeurs sont à notre disposition, d’autres manières d’envisager le vivre ensemble véritable, d’autres façons de percevoir l’autre, le différent… Il suffirait d’aimer un tout petit peu. Voulons-nous rester des infirmes de l’altérité? Voulons-nous vraiment nous satisfaire du mépris de l’étranger? Le temps viendra où nous serons à notre tour les «migrants» et nous verrons alors se précipiter vers des cieux plus cléments ceux-là mêmes qui prônent aujourd’hui le rejet de l’autre. Ni les enseignements du passé ne doivent être oubliés pas plus que les défis du futur ne doivent être ignorés, mais quoi qu’il en soit, c’est en restant «humains» que nous y arriverons! Et oublier n’est pas humain…


1. Voir l’article du Monde Diplomatique «Les peuples à civilisation archaïque face au monde moderne» de François Honti.
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