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Juin 2016
Un conte pour adultes
Auteur : René Widmer

Le Monde a peur. Le nombre de migrants explose, les djihadistes aussi. La récession s’installe, en dépit des efforts des banques centrales pour la maquiller en plus digeste tassement économique. La peste brune guette, l’étendard vert tache.

Sur le navire de croisière «Swiss Pride», battant pavillon panaméen, non pas dans une des 2000 cabines pourvues de salles de bain, de l’air conditionné, de la télévision et d’un bar bien garni, mais dans un placard de soute, on découvre un Chamalien famélique et apeuré. Aussitôt menotté, il retourne dans son inconfortable gîte, au régime zwieback-Rivella. Les Suisses en effet ne produisent pas de pain sec – ils le mangent jusqu’à la dernière miette – et craignent l’eau de là. On le débarquera à Lesbos, qui a vu défiler sur son modeste territoire insulaire un flux multiple de sa population. En huit ans, le salaire minimum grec a chuté de 700 à 400 euros. Dans l’adversité, les Hellènes ont pourtant retrouvé la solidarité non seulement entre eux, mais aussi à l’égard de plus maltraités. Notre passager clandestin reçoit nourriture et vêtements. Muni d’un sauf-conduit, il prend la route – ou plutôt le macadam du chemin de fer – là-bas vers le nord. Il traverse sans encombre la Macédoine et la Serbie avant de buter sur un rideau de briques et de fer et l’écriteau: «Espace Schengen – Entrée interdite». Mes compatriotes et moi avons voté en majorité pour l’adhésion de la Suisse à cette vaste zone de libre circulation, prometteuse de paix et de prospérité, repoussant notre frontière extérieure dans les Balkans. Aujourd’hui oublieux, certains critiquent le comportement paraît-il inhumain de ceux à qui nous avons confié indirectement la défense de notre territoire. Entre nous, ne nous arrangent-ils pas bien, ces ogres (déformation du mot: Hongrois)?

Aux dernières nouvelles, Achraf vit dans un foyer à Heimlichdorf, dans le canton d’Uri, au bénéfice d’une «admission provisoire». On ne refoule en effet pas les Chamaliens dans leur enfer. On est humains, en quelque sorte. De temps et temps, il peut s’offrir un Rivella, son seul bon souvenir.

Elle est dans la tête, cette avouable peur. Bien vite empêchons-la de pénétrer les cœurs.

René Widmer, président du camp «Ouverture et Partage» de Vaumarcus, Confignon


Note de la rédaction: cet article a été écrit avant la fermeture des frontières de l’Espace Schengen.

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