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Juin 2015
Goodbye Charlie ?
Auteur : Marc Gabriel

Goodbye Charlie ? 1

La tuerie du 7 janvier a fait de Charlie Hebdo la victime d’une haine abrutie de fanatisme et a poussé nombre de citoyens à défendre la laïcité et la démocratie, au cours de nombreux défilés! Tant mieux! Même si quelques douteux démocrates s’y sont pavanés, ça n’est pas si souvent que ça se produit.

Cinq mois plus tard, que reste-t-il? Douze morts, dont voici les noms2: Cabu, Charb, Honoré, Tignous, Wolinski, Elsa Cayat, Bernard Maris, Franck Brinsolaro, Mustapha Ourrad, Michel Renaud, Frédéric Boisseau et Ahmed Merabet, tous tombés sous les balles tirées par des abrutis illettrés, au cours d’un «assaut» d’une rare lâcheté.

Cinq mois plus tard, Charlie Hebdo est toujours vivant, alors que les crimes terroristes n’ont diminué ni en nombre, ni en horreur.

Cinq mois plus tard, quelques personnages peu recommandables s’emparent du débat pour ajouter de l’huile sur le feu en y déversant une dose d’islamophobie et d’antisémitisme…

La France, et à sa suite les nations européennes, y compris la Suisse, souhaitent renforcer leurs systèmes de surveillance pour tenter de prévenir d’autres attentats. Mais en cherchant des moyens plus efficaces pour déjouer les intentions de ces imprévisibles fanatiques, nos gouvernants envisagent des mesures inspirées par le Patriot Act3. Cela irait à l’encontre des libertés individuelles que ces dispositions sont censées défendre. Paradoxal.

Si nous avons des droits, nous avons aussi quelques devoirs. Dont celui de nous éduquer. Notre société est devenue tellement avide de consommation qu’elle a contraint pères et mères à travailler, brisant ainsi, faute de temps disponible, le lien éducatif et immatériel qui liait la famille. Le néolibéralisme est passé par là et, au prétexte – entre autres – de «libérer» la femme, oblige toute la population à surproduire et à surconsommer pour satisfaire l’avidité de l’ogre financier. Les carences éducatives qui s’ensuivent affectent les enfants comme les adultes. On n’éduque plus, on interdit! C’est plus facile et du coté des énervés, on ne convainc plus, on tue, ça va plus vite. Pourtant, à terme, c’est moins efficace.

Saint Dominique4, passant en Occitanie, a d’abord accepté le débat contradictoire avec les «bons hommes»5, avant de constater son impuissance. Alors on décida de lancer la Coisade contre les Albigeois, qui a abouti au massacre d’une population certainement plus chrétienne que les Croisés eux-mêmes. Ce fut inutile6. La Réforme interviendra quand même, inspirée par les mêmes motifs qui animaient les bons hommes.

L’Occident chrétien a multiplié les croisades contre l’Islam. Le fanatisme a été une «spécialité» occidentale et chrétienne. A force de nous jeter des anathèmes les uns aux autres, nous ne sommes parvenus qu’à nous entre-tuer avec une constance qui force le dégoût. Dire que c’est au nom du seul et même Dieu... Et que penser des ignominieuses conquêtes de l’Amérique?

Les fanatiques de tous les «ismes» veulent un monde sans idée, sans spiritualité, sans art, sans amour. Les artistes de Charlie Hebdo avaient raison; ce sont les idées, les dessins, les mots, les poèmes qu’il faut opposer aux fanatismes, c’est la culture qui fera reculer l’obscurantisme, pas quelque raidissement juridico-sécuritaire que ce soit.

Les assassins du 7 janvier ne sont pas plus islamistes que vous et moi. On leur a lavé le cerveau avec un Coran dévoyé dont ils ont appris par cœur quelques versets qu’ils crachent haineusement sans les comprendre. Excités et fanatisés, ils tuent en pensant avoir raison.

S’il suffisait de hurler Allahou akbar7 pour devenir un véritable musulman, ça se saurait. Mais ceux qui jouent de la mitraillette sont si intéressés par la mort qu’ils la poursuivent d’un zèle imbécile8. Pensent-ils vraiment que 70 vierges, qu’ils auront préalablement fait exciser, les attendent de l’autre côté? Ils lapident les femmes, jusqu’à ce que mort s’ensuive, ils capturent des jeunes filles par centaines dont ils deviennent ensuite les proxénètes, ils détruisent les sculptures, brûlent les livres, interdisent la musique, musellent les cinéastes, tranchent la gorge des journalistes, censurent les poètes, coupent les têtes de leurs otages, pendent les opposants. Ils ne comprennent pas le mot «laïque», ne sont pas au courant du concept de «liberté», pas plus qu’ils n’ont entendu parler d’amour et de tendresse.

Ce n’est pas à nos vies qu’ils en veulent, c’est à la Vie elle-même, c’est aux cultures, avec tout ce qu’elles contiennent. Et ça ne date pas d’hier. En 642 de notre ère, un calife9 a ordonné la destruction de la Bibliothèque d’Alexandrie. Il y a eu comme un écho, le 18 mars dernier, à Tunis, au Musée du Bardo…

«Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre, et finit par perdre les deux» disait Benjamin Franklin. Sans tomber dans la naïveté, gardons-nous d’un excès de lois liberticides. Réduire la liberté n’a jamais apporté la moindre amélioration sécuritaire. Au contraire, ça ne fait qu’encourager les fanatiques, c’est admettre que leurs criminelles entreprises ont atteint leurs buts.

Cinq mois plus tard, rien n’a vraiment changé, mais à l’instar de Minelli, j’aurais envie de leur dire, en français: T’as le bonjour de Charlie!


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