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Août 2014
Jonas, autiste: une vie heureuse
Auteur : Fritz Tüller

Jonas, autiste: une vie heureuse, aussi longtemps que l’«environnement» joue

Prématuré, Jonas a eu un problème de respiration à la naissance, entraînant une lésion du système nerveux central doublée d’une épilepsie. Accueilli dans l’école spécialisée Christophorus, à Berne, il poursuit son parcours dans une autre institution des anthroposophes non loin de Schwarzenbourg. Les émules de Rudolf Steiner constituent son monde, dans lequel il se sent à la maison, à l’aise.

La principale caractéristique de l'homme de masse n'est pas la brutalité ou le retard mental, mais l'isolement et le manque de rapports sociaux normaux.
Hannah Arendt

Jonas, qui aurait «18 ans en l’an 2000»…va maintenant sur ses 32 ans. C’est un jeune homme plein de joie de vivre. L’école lui a permis de se socialiser et de réaliser de grands progrès sur tous les plans, notamment culturel. Son grand-père maternel avait la larme à l’œil en l’écoutant interpréter avec Melanie, sa camarade de classe préférée, le duo Papageno-Papagena de la Flûte enchantée. Aujourd’hui, il aime «son travail» à la Thanhalten à Hinterfultigen (BE), une institution gérée par une fondation et offrant un milieu de vie et de travail à treize personnes mentalement handicapées. Mais par-dessus tout, il se réjouit de retrouver ses parents tous les quinze jours et pour les vacances. Sans oublier nos amis: il est heureux quand nous les recevons ou leur rendons visite.

L’institution entretenue par la fondation Olaf Asteson, la Thanhalten donc, offre une large palette d’activités à «ses gens». Lieux de travail: agriculture avec vaches, veaux et chèvres sur un domaine de 3,5 ha, jardin produisant les légumes et fruits pour ses propres besoins et entretien de la maison et des abords extérieurs, nettoyages, travaux ménagers et préparation des repas, préparation du bois de chauffage, etc.; activités créatrices: ateliers d’arts, de peinture notamment, sculpture de la pierre. Un très fort accent est mis sur les manifestations culturelles, concerts organisés sur place et ouverts au public, soirées au concert ou au théâtre en ville de Berne. Les loisirs comprennent aussi les sorties sur les rives lacustres pour les pensionnaires qui restent un dimanche sur deux dans l’institution, et des projets culturels en Suisse ou dans les pays voisins. Avec son institution, Jonas a déjà vu le sud de la France-Méditerranée-Italie, la Hollande, Norvège jusqu’aux Lofoten, Suède, Finlande, Allemagne…

Dans son «monde du travail» comme il se plaît à dire, il participe à la préparation des repas, à l’entretien du chauffage et aux activités de la blanchisserie. L’atelier de peinture lui a permis de développer ses dons, il réalise des tableaux avec le coup de pouce du grand chef, lesquels se vendent dans des expositions.

Qui sait si je n’aurais pas mieux donné ma mesure en me consacrant aux maladies nerveuses et mentales? C’est un terrain où il reste encore tant à défricher.
Roger Martin du Gard
Les Thibault

Dans son autre monde, à la maison, notre fils partage son temps entre la préparation du bois de cheminée qu’il aime entasser autour de la maison, la contemplation de la collection impressionnante de modèles réduits de ses poids lourds chéris et la «lecture» des journaux. Il est abonné à La Provence, le Provençal, comme il dit, son journal préféré parce que richement illustré, l’édition de Salon (sur la grande autoroute Marseille-Paris), qu’il parcourt attentivement à la recherche de photos de ses belles machines, il nous reprend si on parle de «gros culs». Quand il pleut ou qu’il n’a pas envie de sortir, son occupation privilégiée est de m’assister dans mon travail de lecture et classement des articles de journaux, dont il garde une bonne partie parce que telle photo l’intéresse… Il fait les tas d’après mes indications et nous les mettons, ensemble, à l’occasion, dans les cartons au garage. Ce faisant, nous discutons des affaires et misères de notre pauvre monde ployant sous la férule des libéraux et autres crapules et exploiteurs de tout poil, sans foi, ni loi, ni âme. C’est ainsi qu’il affine son sens politique, pas un de nos conseillers fédéraux actuels qui ne trouve grâce à ses yeux! Et les multis, les deux «N» en tête, en prennent pour leur rhume. Et ne lui parlez pas de M. Philippe Perrenoud (voir plus loin), du banquier Jean Studer ou du trublion zurichois Christophe B. Il vous dirait qu’il va chercher un éléphant, un tigre sibérien ou un 50 tonnes espagnol! C’est ainsi que nous suppléons aux heures de culture générale données naguère dans son institution et qui sont tombées avec le renvoi d’un animateur.

Traitez les gens comme s’ils étaient ce qu’ils devraient être et vous les aiderez à devenir ce qu’ils peuvent être.
Goethe

Jonas est aussi un mélomane averti, nous écoutons, tout en travaillant à nos journaux, cette belle musique classique dont nous ne nous lassons pas, pendant des heures et les CD des chanteurs qu’il affectionne, Brassens, Moustaki, Yves Duteil, Michel Bühler, Pierre Perret, etc. Ce que nous admirons chez lui, c’est qu’il sait toujours s’occuper, même s’il a opiniâtrement refusé d’apprendre à lire, sans doute par crainte de l’échec.

Aussi longtemps que les conditions générales jouent… En effet, les gens comme Jonas nécessitent une prise en charge et un accompagnement. Or que voit-on? Les droites décomplexées qui nous gouvernent n’hésitent plus à sabrer dans les budgets sociaux bénéficiant aux plus vulnérables d’entre nous. Pour nous limiter aux personnes handicapées de notre canton de résidence, le Conseil d’État à majorité rose-vert (!) proposait une coupe de 16 millions ramenée par le Grand Conseil, tenu par la droite affairiste, à 3 millions. Or, M. Philippe Perrenoud, socialiste (!) jurassien bernois, clamait haut et fort qu’il n’avait pas de problème avec ladite coupe (- Je soutiens sans réserve ce train d’économies: Ich trage dieses Sparpaket voll mit, cf. BZ du 18 septembre 2013). Il faut dire que les organisations et institutions de handicapés s’était mobilisées comme un seul homme, avec en point d’orgue une magnifique manifestation de 1500 personnes (BZ), dont près de 200 fauteuils électriques, à l’arrivée des députés devant l’hôtel de ville. Pas de sifflets, pas de discours, juste une chanson de Mani Matter «Dene wos guet geit», les bien-portants, reprise du début à la fin de la manif comme une douce mélopée. Ce rassemblement aura fait pencher la balance, plus qu’un sursaut compassionnel ou de décence de nos députés bourgeois qui se sont rattrapés sur … les malades psychiques!

Notons au passage que le Canton — les services du socio-libéral Perrenoud — se montre extrêmement pointilleux avec les subsides accordés aux institutions accueillant les handicapés, passant au crible chaque centime dépensé, alors que ces mêmes contrôles sont beaucoup plus lâches dans d’autres secteurs comme celui de la formation professionnelle, par exemple.

Je voudrais conclure en citant Insieme, la Fédération suisse des associations de parents de personnes mentalement handicapées: «Aucune économie ne doit être réalisée au détriment de la qualité de vie des personnes handicapées mentales. Aidez-nous à empêcher que de telles mesures soient prises.» (Berne, mars 2009).

Fritz Tüller, Frieswil

Voir le portrait si juste, si bien senti de Jonas, reproduit en dernière page de
la brochure La P’tite consacrée à ma sœur Maryse (l’essor no 5, octobre 2013).

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