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Juin 2014
Caisse publique: dans l’intérêt des patients
Auteur : Jean-François Steiert
Par Jean-François Steiert, conseiller national,
vice-président de la Fédération suisse des patients.

Des soins de qualité, financièrement abordables et accessibles indépendamment de la provenance sociale ou géographique: cette attente des patientes et des patients face au système de santé est menacée. Elle l’est en premier lieu par les assureurs, qui développent des mécanismes inégalitaires dans l’assurance-maladie obligatoire – comme par exemple dans le remboursement de médicaments coûteux ou encore dans leurs tentatives multiples de réduire le libre choix du médecin. Dans ce contexte, la création d’une caisse publique devrait permettre de replacer l’intérêt public au centre de la politique de santé – au bénéfice des personnes plus faibles que notre système doit protéger.

Solidaires à leurs origines, les caisses-maladie se sont peu à peu éloignées des intérêts des assurés. L’objectif premier des assureurs n’est plus d’assurer les meilleurs soins possibles au meilleur coût possible à l’ensemble des assurés, mais de développer le domaine de l’assurance complémentaire, qui n’est pas soumis à l’interdiction de réaliser des bénéfices. Ce changement d’intérêt a des conséquences néfastes pour la grande majorité des assurés: la plupart des grands assureurs ont développé des stratégies de sélection des «bons risques», ce qui induit des augmentations des primes des personnes âgées ou malades qui restent affilié-e-s à des caisses moins agressives. La concurrence effrénée entre les assureurs entraîne chaque année un effet de désolidarisation entre générations de l’ordre de grandeur de plusieurs milliards de francs.

Dans la même logique de concurrence, les assureurs poursuivent une stratégie systématique de pressions politiques pour réduire le nombre et la qualité des prestations assumée par l’assurance-maladie de base – les mêmes prestations pouvant évidemment être réassurées ensuite, contre espèces sonnantes et trébuchantes, par le biais d’assurances complémentaires. A ces pressions politiques s’ajoutent des stratégies visant à influencer à la baisse l’offre de prestations – par exemple par modèles d’assurance qui limitent le choix de l’hôpital et permettent ainsi d’«assécher» des hôpitaux régionaux considérés comme superflus (Helsana s’est ainsi fixé comme objectif de faire baisser de 300 à 50 le nombre d’hôpitaux en Suisse). Le fait que des assureurs dénués de toute légitimation démocratique se substituent ainsi de fait aux autorités politiques dans l’orientation de politiques publiques de premier ordre est fondamentalement contraire à notre système démocratique.

La caisse publique, une recette miracle?

Il n’y a pas de recette miracle pour répondre à l’ensemble des problèmes que connaît actuellement notre système de santé: les progrès médicaux – plus ou moins réels – et, pour une moindre part, les conséquences du vieillissement de la population, entraînent dans pratiquement tous les pays de l’OCDE une augmentation des coûts de la santé supérieure à l’augmentation de la capacité économique du pays. Il y a dans un tel contexte un intérêt public manifeste:
• à la meilleure coordination possible des offres de prestations, tant pour des raisons de qualité des soins que pour éviter de coûteux doublons;
• à la garantie de prestations de soins de qualité sur l’ensemble du territoire;
• à une organisation du système de santé qui permette à tous les assurés, quelle que soit leur provenance sociale et géographique, de pouvoir bénéficier de la qualité de notre système, des – vrais – progrès thérapeutiques, ainsi que des prestations que les grands assureurs veulent éjecter du catalogue de la LAMal.

Tant l’analyse des défauts de notre système de concurrence entre assureurs que les comparaisons des systèmes au niveau international nous montrent que les caisses publiques assurent de manière à la fois plus efficace et plus équitable, de concert avec les grandes orientations données par les pouvoirs publics, la qualité, l’accessibilité et la relative maîtrise des coûts d’un système de santé, notamment lorsqu’elles disposent d’un contrôle démocratique digne de ce nom. Cela plaide pour une Caisse publique nationale de santé
• organisée dans ses caractéristiques générales sur un modèle tel que celui de la CNA ou de l’AVS,
• avec des agences cantonales ou régionales garantes d’un lien de proximité et dotées d’une autonomie suffisante pour tenir compte de spécificités régionales,
• avec une participation des pouvoirs publics, des assurés et des prestataires aux organes stratégiques.

Une telle caisse permettra des gains d’efficacité tout en maintenant une marge de créativité et de concurrence sur la qualité entre agences cantonales ou supracantonales. Elle sera en outre l’occasion de surmonter les effets pervers de la concurrence sauvage entre assureurs dont les patientes et les assurés paient aujourd’hui les conséquences. Par ailleurs, la transparence et le contrôle démocratique d’une telle institution pourra contribuer au climat de confiance indispensable à la réalisation des réformes nécessaires dans notre système de santé.

Idéalement, un tel changement de système devrait être accompagné du passage à un mécanisme de financement permettant d’assurer un financement équitable en fonction des capacités financières des assurés, comme il existe sous diverses formes dans la plupart des pays occidentaux à l’exception de la Suisse. Cet objectif devra toutefois être poursuivi du moins en un premier temps par la voie parlementaire, plus prometteuse qu’un projet d’initiative surchargé.

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