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Juin 2011
Ecole ou société en péril ?
Auteur : Judith Vuagniaux

Si je regarde l'école actuelle du point de vue de sa mission de base, c'est-à-dire apprendre à lire, écrire, calculer et s'exprimer oralement, je ne pense pas que l'école soit en péril, car les enseignants remplissent leur mission au mieux de ce qu'ils peuvent dans les circonstances actuelles. Par contre, si je considère les attentes que notre société a envers l'école, je pense qu'il existe un véritable périlpour notre école publique et les personnes qui la vivent au quotidien!

Il y a longtemps

L'école que j'ai connue il y a 40 ans, s'efforçait de délivrer une culture générale la plus large possible. Il était reconnu que cette acquisition sous forme de connaissances étendues nous permettrait de trouver aisément  notre place dans la société selon un choix de formation personnalisée. Mai 68 venait de passer par là, il soufflait un vent d'humanisme et de découvertes pédagogiques sans précédent.Un enseignement différencié respectant l'individu dans son intégrité apparaissait doucement dans le paysage scolaire…Avec quelques réformes à la clef!

Entre culture générale et rentabilité

Aujourd'hui, les conditions de la société ont changé. La culture générale ne représente plus le «sésame» qui ouvrira les portes de la formation professionnelle. L'école obligatoire doit répondre à une future insertion professionnelle de l'élève. C'est le règne d'une société basée sur une économie de croissance et de rentabilité dans laquelle l'être humain a peu de choix et peu de place. Le profil idéal pour le monde économique est un jeune aux compétences multiples, performant,responsable, adaptable et si possible poli et ponctuel. Tout sauf un adolescent actuel!

La pression est si forte qu'elle s'exerce jusqu'à l'Université. Les chaires de commerce, d'économie, de gestion, de sciences politiques ont le vent en poupe au détriment des chaires de lettres, de philosophie, de sciences humaines et sociales. Tout ce qui sert une économie compétitive est largement valorisé par les politiciens, car la santé des porte-monnaie cantonaux en dépend.

Les parents pris dans la tourmente

Les parents sont pris en tenaille entre le désir de trouver un métier au travers duquel leur enfants'épanouisse selon son propre choix et la nécessité d'un métier pour lequel une place de travail existe sur le marché de l'emploi. Pour l'enfant aux compétences scolaires étendues, le choix de formation est très large, mais pour l'enfant aux compétences scolaires restreintes, le choix est très limité… Que dire à cette jeune femme allophone au chômage en possession d'un CFC de gestionnaire en intendance, mais qui n'aime pas son métier et qui désire se réorienter dans le domaine des soins, lorsqu'elle me demande comment trouver 5000 francs pour payer une nouvelle formation de six mois en école? Les bourses lui sont refusées, car elle a déjà une formation et le chômage refuse également pour la même raison…Donc, faire le bon choix dès le départ est capital!

Moins il y a de possibilité de choix de formation à la sortie de la scolarité obligatoire, plus la pression augmente de la part des parents sur l'école en vue d'obtenir de meilleurs résultats scolaires.Or, moins il y a d'argent investi dans l'école, plus les effectifs de classe augmentent, moins il y a d'encadrement de la part des enseignants et moins il y a de chance de réussite pour les élèves. Voilà la porte ouverte pour les écoles privées, car elles offrent ce que l'école publique n'est plus en mesure de dispenser et je ne pourrais blâmer les parents qui font ce choix même si je défends depuis dix ans une école publique de qualité.

L'UDC a trouvé le truc !

A l'heure où le peuple suisse a décidé une harmonisation de notre système éducatif (HarmoS), l'UDC trouve cela peu compétitif et nous propose un raccourci exemplaire sous forme de déclaration populiste et réductrice sur l'éducation: les meilleurs élèves suivent l'école publique avec un système de sélection intensif et les autres, c'est-à-dire tous ceux qui ont des difficultés ou des handicaps, on les renvoie à la maison, et que leurs parents s'en occupent! Ah, j'oubliais…Les enfants étrangers, on les renvoie dans leur pays et on garde leurs parents pour faire les boulots que les Suisses ne veulent pas faire…Voilà, c'est simple et ça ne coûte pas cher!

Entre financement public et intérêt privé: un équilibre délicat

Sous le jeu des pressions politique, économique et des intérêts privés, l'école a de la peine à maintenir un équilibre entre épanouissement de l'individu et intérêts sociétaux. Les enseignants tentent déjà actuellement de reformuler quelques valeurs pour résister à la tendance générale vers une formation sélective à deux vitesses, mais je doute fort qu'ils arrivent à maintenir le cap. Les jeunes enseignants deviendront à leur tour de futurs parents pris dans les mêmes conflits d'intérêts. Feront-ils alors un choix différent?

Attentes des parents

L'école, c'est le temps privilégié des apprentissages et les parents attendent qu'elle accompagne leur enfant au maximum de ses compétences dans une collaboration et une interactivité permanente. Il ne s'agit pas de pré-formater nos enfants dans une optique de formation scolaire pro économique, mais plutôt de suivre le développement de l'enfant vers une bonne confiance en soi et une conscience de ses compétences individuelles. Ce sera ensuite le rôle des entreprises et des écoles subséquentes de former pour un métier donné.Nos enfants ne sont pas matures à la sortie de la scolarité obligatoire, ils continuent de grandir…Merci de ne pas l'oublier!

Judith Vuagniaux, présidente FAPEN
Fédération des Associations de
Parents d'Elèves du canton de Neuchâtel
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