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Octobre 2009
L’anarchie contre le chaos du pouvoir
Auteur : Pierre Lehmann


« Le matin du 14 juillet, je reste dans mon lit douillet. La musique qui marche au pas, cela ne me regarde pas » (Georges Brassens).

« La liberté n'est pas la fille mais la mère de l'ordre »
(Pierre-Joseph Proudhon, cité par Karl Hess, Playboy, juillet 1976).

« Prendre pouvoir sur autrui, pour quelque raison que ce fût, c'était là le mystérieux péché contre l'Esprit dont parle l'écriture et pour lequel il n'est pas de pardon »
(Jean-Louis Cornu se référant à Mathieu XII-31, dans « Les désastres de la guerre », Tome 1, p. 185, L'Age d'Homme, 1994. Transmis par Henri Jaccottet).

Contrairement à une croyance très répandue et probablement entretenue à dessein, l'absence de pouvoir ne crée pas le désordre, bien au contraire. Cela permet aux relations humaines spontanées et/ou traditionnelles d'être prépondérantes dans la société et au bon sens de rester à l‘honneur. Le tissu social qui en résulte est garant d'une meilleure stabilité que l'ordre imposé par en haut, lequel nécessite moyens de contrôle et de contrainte. Mais cela suppose que les gens se connaissent ou au moins se reconnaissent, qu'ils partagent une culture et des traditions transmises par l'éducation familiale, l'école et la société.

Il faut donc que la société dont on parle ne soit pas trop grande et se définisse par des valeurs que ses membres reconnaissent. Il est bien sûr difficile de donner des chiffres. Un groupe humain relativement homogène (ethnie, religion, territoire, traditions, etc.) peut probablement se passer d'un pouvoir institutionnalisé, même avec un assez grand nombre de personnes. Cela ne signifie pas qu'un ensemble de millions de personnes doive nécessairement disposer d'une structure de pouvoir, mais lorsque le nombre de gens dépasse une certaine limite, il y a lieu de le diviser en deux ou plusieurs sociétés plus petites. Cela se passe apparemment dans la mégalopole de Mexico où des quartiers (barrios) vivent selon leurs propres règles et tiennent le pouvoir à distance (voir: Gustavo Esteva, «FIESTA-jenseits vin Entwicklung, Hilfe une Politik», Brandes & Apsel, 1992). Comme l'a souligné Léopold Khor, chaque fois qu'il y a un problème dans la société, c'est que quelque chose est trop grand.

Aujourd'hui, l'humanité est organisée en Etats. Il n'y a plus guère d'exceptions. Ces Etats comprennent pour la plupart des millions de personnes et sont tous munis d'une structure de pouvoir avec au sommet des présidents, des dictateurs ou des rois. On ne peut pas dire que cela crée un monde heureux et bien ordonné. Au contraire, le chaos ne fait que croître à mesure que la centralisation augmente et que le pouvoir étend son emprise sur un plus grand nombre de gens. Il y a des guerres un peu partout sur la Terre, le désordre règne dans le monde de la finance qui malheureusement guide le monde politique. Ce monde est devenu totalement immoral et génère des injustices de plus en plus criantes. Des milliards pour les banques aux directeurs surpayés même s'ils sont incompétents, et peu sinon rien pour ceux qui font le travail concret ou pour le social.

Le pouvoir mène au chaos, ou en tous cas ne sait pas l'empêcher. L'illusion est de croire que, en changeant les gens qui le détiennent, on arrivera à mettre de l'ordre dans les sociétés humaines. C'est le pouvoir lui-même dont il faudrait se débarrasser. Le pouvoir exerce un attrait irrésistible sur certaines personnes qui ne sont pas pour autant particulièrement compétentes, quand ce ne sont pas des psychopathes, Elles ont surtout besoin d'être importantes, riches et en vue.

Les Etats sont des structures de pouvoir patriarcal, qu'ils soient dirigés par des hommes ou par des femmes. A l'opposé se trouve le matriarcat qui est un système social sans structure de pouvoir institutionnalisée. Il ne s'agit pas simplement de mettre les femmes au pouvoir. Le matriarcat est plutôt une «anarchie réglementée» ou une «démocratie de consensus» (voir à ce sujet: «Matriarcat, die Regulierte Anarchie» par Hannelore Vonier, Zeitpunkt No 101, mai/juin 2009).

Les moyens de productions appartiennent à la collectivité et, dans le domaine économique, le système de contrôle empêche l'accumulation de pouvoir et de possessions. Contrairement au système dit communiste, il n'y a pas d'administration centrale ou d'instances dirigeantes. Les décisions se prennent par consensus, femmes, hommes et générations confondus.

La vision du monde sous-jacente est cyclique, contrairement à la vision du monde linéaire de la société patriarcale de consommation actuelle. Selon Hannelore Vonier, ce type de société sans domination ni exploitation a fonctionné pendant des millénaires et si l'obsession de l'autorité a eu un commencement, elle peut aussi avoir une fin. Et cette fin risque bien d'être accélérée par des événements extérieurs, hors du contrôle du pouvoir, comme en particulier la fin du pétrole.

Sans pétrole, plus d'avions, de camions, de voitures ou seulement très peu. Cela réduit considérablement les moyens du pouvoir et signifie la fin de bien des activités humaines actuelles, comme le tourisme de masse et une grande partie de l'hôtellerie qui en dépend.

L'homme devra à nouveau se servir de ses mains et consacrer au travail de la terre une bonne partie de son temps en utilisant le traction animale et ses propres muscles. Peut-être aura-t-il aussi plus de temps pour des activités sociales ou ludiques et pour admirer la nature. Bref, retour à des sociétés de subsistance de type matriarcal. Si le pouvoir n'a pas détruit la biosphère avant.



 

« Le feu, l'eau et le peuple sont des forces indomptables ».
Démosthène, VIe s. av. J.-C.
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