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Février 2009 °
Les peurs du jour et de la nuit
Auteur : Edith Samba


De la nanopatulophobie, peur des nains de jardin à brouette, à la tyrosémiophobie, peur des étiquettes de fromage, de l'ochlophobie, peur de la foule, à arrêter de confondre avec l'agoraphobie, peur des espaces découverts et vides, la gent humaine est particulièrement gâtée pour élargir le choix des peurs innées et acquises qui participent à sa construction mentale. S'il se laisse complètement submerger, l'humain peut en arriver à avoir peur de tout: la pantophobie.

Aux sources des peurs animales liées à la survie, s'ajoutent celles inculquées par le bouillon éducationnel dans lequel l'enfant va entamer son parcours. Selon la nature de son tempérament et les cas de figure, il choisira entre fuite ou affront. Par la suite, les circonstances vont se charger de faire atterrir, plus ou moins violemment, dans le jardin intérieur de chacun, des pierres de toutes grandeurs, comme autant de marques de traumatismes. Il s'agira d'encaisser l'onde de choc, constater les dégâts, reconstruire ce qui peut l'être et apprendre à vivre avec cette nouvelle cicatrice. A chacune de ces pierres, il y a un avant et un après, on n'en sort jamais complètement indemne. La fréquence, le poids de ces expériences peuvent complètement perturber l'épanouissement d'un individu ou d'une société.

Chacun sait que la peur peut être mauvaise conseillère, fait souffrir au point d'en devenir pratiquement paralysante et qu'à bien des égards, rend la vie infernale. Aussi, depuis la nuit des temps, des us et coutumes, des messages religieux ou philosophiques se sont construit pour tenter de proposer des explications, donner du sens, apporter du réconfort aux personnes et aux sociétés en état de déstabilisations permanentes. Souvent ces méthodes sont elles-mêmes génératrices de nouvelles peurs: l'enfer, l'exclusion n'en sont pas les moindres. Les messages politiques fonctionnent aussi dans ces eaux-là, distillant d'un côté l'inquiétude, pour faciliter la gouvernance et de l'autre maintenant l'ignorance afin d'éviter, soi-disant, doutes et mouvements de panique. En vérité, l'ensemble du tableau donne le sentiment que le destin humain est franchement accablant, naviguant à vue entre mille paradoxes.

Que faisons-nous alors, plus ou moins instinctivement, pour nous soulager de ces nœuds au ventre? Se raconter à son confesseur ou son psy? Organiser son nouveau potager autour du caillou débarqué ou le sortir de là pour aller le cacher loin de la vue et l'oublier? Tâtonner entre méfiance et confiance en la vie et ses concitoyens, confier son existence à une force ou des esprits supérieurs? Accepter tout ce qui arrive, l'esprit zen, au risque de sombrer dans l'indifférence? Trouver les bonnes leçons à en tirer pour mieux réagir la prochaine fois ou renoncer à s'occuper de son jardin? De fait, la vie se révèle fort diversifiée dans la somme de peurs qu'elle fait subir aux uns comme aux autres: on ne vit pas de la même manière, soumis à la faim quotidienne, sous un volcan, pris en pleine guerre ou bardé d'assurances tous risques.

Chacun organise son petit cocktail personnel: se plonger dans la lecture de la bible ou de publications présentant des recettes de mieux-être, rejoindre un groupe de réflexions pour y mettre des mots et se sentir moins seul, se chercher de bonnes raisons de laisser tomber des pans entiers de sa vie sociale, attendre que cela passe en s'accrochant aux barreaux, oublier…

Il n'est pas non plus inutile de trier entre les peurs correspondant à quelque chose de bien réel et les purs fantasmes, souvent provoquées par des manipulations mentales ou l'ignorance. Il est nécessaire aussi de lutter pour tenter de réduire les risques de chute de pierres dans les jardins d'autrui, de prendre la parole pour conscientiser ceux-là même qui génèrent des peurs, des dégâts qu'ils provoquent.

Bref, tout est bon pour résister à l'accumulation de peurs qui nous plombent et alourdissent notre cheminement, pour préserver l'espérance et la force de vivre, le cœur joyeux. Certaines méthodes se révèleront d'une redoutable efficacité, offrant les possibilités d'une véritable renaissance, d'autres se résumant à un coton-tige pour éponger une inondation. Il n'empêche que de vivre avec des personnes rongées par l'inquiétude n'est pas une sinécure et entraîne un risque de contagion. Aussi, trouver le bon moyen de se débarrasser de ses peurs et faire preuve de mansuétude et d'esprit d'entraide pour celles des autres est le combat à mener sa vie durant, jusqu'à la fin des temps.

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