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Décembre 2008
Ces images à nous tous communes
Auteur : Nancy Tikou-Rollier
Une lectrice revient sur le thème du forum
précédent: "La civilisation de l'image"

Ces images à nous tous communes *

* Titre original, alors qu'une malencontreuse erreur dans l'édition papier a fait figurer
cet article sous le titre
"La lutte contre la violence dans les relations de couples".

Il y a des images auxquelles nous ne prêtons que peu d’attention tant elles nous paraissent dérisoires, chaotiques ou bâclées; je veux parler des tracés des petits enfants: ils gribouillent, griffonnent, font des taches de couleurs. Pourtant, cette base apparemment non organisée est un support précieux pour le développement futur, naturel et harmonieux de la personne.

L’enfant y ajoute jour après jour, imperceptiblement, des éléments, des points, des traits, sans se rendre compte qu’il s’exerce ainsi et découvre des nouveautés qui l’enchantent. Un tracé devient rond, il le répète indéfiniment, puis lui ajoute des rayons, ce qui devient une figure rayonnante. Un trait vertical l’incite à tracer par-dessus des traits horizontaux: voici une arête; un angle se précise, une croix se forme, un point est fixé au milieu d’un rond, chaque découverte est répétée à l’envi et se renforce pour devenir de vraies figures.

Le geste devient plus sûr, l’enfant s’affirme, il croit en lui. Ses images ne sont pas copiées. Elles ne proviennent pas de l’extérieur de lui, il ne regarde pas son environnement pour le restituer fidèlement, il n’en a cure, même si, par ailleurs, il est très observateur. Il ne fait pas le lien entre les objets qui l’entourent et le fait de tracer. De même avec la parole. Il ne sait pas que la main peut être l’esclave de la vue ou de l’ouïe, car elle est en prise directe avec ce que lui dicte son organisme. Et c’est un vrai bonheur!

Malheur à celui ou celle qui voudrait lui suggérer un dessin d’observation ou qui lui montrerait comment dessiner un mouton…cela serait contre-indiqué et contre-nature.

Plus tard, les mêmes éléments, qui n’avaient auparavant aucune justifications anecdotiques, deviennent des objets: par exemple un angle peut devenir un siège, une figure ronde une tête ou une mare, un triangle une tente ou un toit, la figure rayonnante le soleil, etc.

L’enfant trouve tout seul ce jeu, sans l’aide de personne. Tout seul, il continue à jouer avec ces objets qui peuplent l’espace de sa feuille, c’est son monde, il en est le maître.

Un jour, patatras! On lui impose des sujets, on veut l’obliger à dessiner ce qu’il voit ou l’histoire qu’il a entendue, il n’est plus maître de son monde, il perd confiance, il se désintéresse, il est démotivé. Et l’on s’étonne: «Comment? Pourquoi? Il avait une telle liberté avant et maintenant, il ne sait plus quoi dessiner! Je ne comprends pas».

Avec bonne conscience, on lui vole son expression; de la lente élaboration programmée, qui doit se développer à son rythme, sans hâte, se substitue la crainte, l’inquiétude, l’obsession de l’enseignement, de la réussite scolaire. Pourquoi la connaissance de ces faits simples ne rassure-t-elle pas les enseignants de tous bords? Ne sait-on pas que la graine devient un arbre, que tout est là déjà, en devenir?

L’enfant n’a besoin d’aucune aide graphique. Placé dans les conditions d’une réelle liberté de tracer pendant des années, sans influences ni jugements de l’extérieur, il est capable d’une maîtrise très grande qui l’amène tout naturellement, de la petite enfance à l’âge adulte, à un réalisme désiré et abouti.

En se retournant sur ce passé fait de connexions avec ses images internes et externes, l’individu est surpris de constater ses capacités insoupçonnées, bien plus riches que tout ce qu’on aurait pu rêver pour lui.

Nancy Tikou-Rollier,
praticienne d’éducation créatrice

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