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Octobre 2007
Il faut reprendre le problème à zéro
Auteur : Pierre Lehmann

Le titre de ce forum amène assez naturellement à se poser la question: qu’est-ce que la santé, qu’est-ce que nous entendons quand nous disons que nous sommes en bonne santé? Peut-il y avoir une mauvaise santé, ne s’agit-il pas d’un oxymore?

Le fonctionnement de notre corps est d’une complexité telle qu’il échappe à l’analyse scientifique. Tout ce que nous pouvons dire, c’est que notre santé est bonne si nous nous sentons bien. Pas de douleurs, pas d’angoisse, pas de tension, jouissance du moment présent, joie de vivre. Un ami chinois que j’ai connu à Taiwan et qui pratiquait un peu de médecine chinoise ajouterait «happy body» (corps heureux). Tout cela est surtout intuitif et indique une relation étroite entre physis et psyché, aspects complémentaires d’une même réalité.

Le problème actuel qui a mené, entre autres, à l’aberration de la LAMal, c’est que le scientisme a réussi à s’imposer en médecine et que la santé est définie par des chiffres. Qu’est-ce que le scientisme? Selon le mathématicien Alexandre Grothendiek, c’est une «idéologie qui repose sur la conception erronée que ce sont les connaissances reposant sur l’emploi correct des méthodes des sciences exactes, déductives expérimentales, et celles-là seulement, qui auraient une valeur objective» (voir «La Quadrature du CERN», Ed. d’En Bas, 1984, p. 148). Il s’en est suivi, comme l’a démontré Ivan Illich «que le consommateur de soins devient impuissant à se guérir ou à guérir ses proches» (voir «Nemesis médicale», Seuil, 1975).

« Les gens bien portants sont des malades qui s’ignorent ».
Jules Renard, Knock

On a fait douter le citoyen de sa capacité à juger lui-même de sa santé, le privant en même temps de sa liberté de choisir les moyens de soin s’il se sent mal. Le système de la maladie, mis en place sous le nom de système de la santé, définit une médecine officielle, essentiellement allopathique, comme la seule acceptable, c’est-à-dire couverte par l’assurance obligatoire. Pourtant rien ne permet d’affirmer que cette médecine soit meilleure que l’homéopathie, l’acupuncture, la massothérapie, voire la méditation ou la prière.

Un autre problème qui me semble tout aussi fondamental est l’évacuation de la mort dans notre conception de la santé. Le médecin homéopathe François Choffat a fait la remarque, à mon avis pertinente, que la recherche médicale alimente le mythe de notre immortalité possible. Il est de fait que «vaincre la mort» a été présenté ici et là comme une possibilité, peut-être lointaine, mais réaliste, alors qu’il s’agit d’une absurdité. La mort n’est pas le contraire de la vie mais le pendant nécessaire de la naissance. Sans la mort, la vie n’est pas pensable sur cette planète. Pourtant la médecine actuelle est souvent une lutte désespérée contre la mort des personnes, alors qu’elle devrait se concentrer sur le maintien de la santé de la population.

L’entreprise médicale est devenue une proposition essentiellement économique qui mesure sa propre santé par la croissance de son chiffre d’affaire. Elle a provoqué l’apparition d’une activité parasite, l’assurance, cause principale de la déresponsabilisation des gens par rapport à leur santé. Pas d’argent, pas de soins. Il faut donc être assuré, ce qui renchérit encore les prestations du système médical puisqu’il faut bien payer ceux qui poussent le papier chez les assureurs et obliger les médecins à des tâches administratives sans grand intérêt et sans rapport avec leur but premier qui est d’aider les gens à garder ou retrouver leur santé.

« La santé est devenue un argument fondamental de la consommation ».
Schopenhauer

Le temps n’est pas si lointain où le médecin de campagne pratiquait son métier sans le concours de l’assurance. J’en ai connu un. Il se faisait payer selon les possibilités de ses patients, ceux qui avaient des moyens suffisants payant aussi pour les moins bien lotis. Autour des fêtes, il recevait des dons en nature, jambons, poulets, etc., de la part des paysans qu’il avait aidés. C’était convivial et ça marchait. La population était probablement en bien meilleure santé qu’aujourd’hui.

Le système de la maladie, financé par l’assurance obligatoire, est devenu si coûteux que de plus en plus de gens n’arrivent plus à payer les primes et sont harcelés par les assureurs et les offices de poursuites, ce qui ne contribue sûrement pas à leur bien-être. On est en présence d’un système divergent et incontrôlable. Il faudrait donc reprendre le problème à zéro à partir de la question posée au début: qu’est-ce que la santé et comment la maintenir? On ne pourra probablement pas échapper à la conclusion que la première priorité est d’arrêter d’empoisonner l’eau, l’air et le sol avec des produits toxiques (dont des médicaments et des substances radioactives) et de réduire le stress imposé aux gens à cause de la compétition permanente et stupide que la croissance économique exige. Sans cela on continuera à développer une entreprise médicale hors de prix pour essayer de contrer les maladies provoquées par notre mode de vie et nos activités économiques. C’est le serpent qui se mord la queue.

Peut-on encore espérer mettre en place un système de soins dont le but premier serait la santé et non le profit? Ou faudra-t-il attendre l’effondrement du système économique pour que la population retrouve la santé?

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